C'est vrai que c'est beau la mer, là où je suis née la mer ça n'existe pas, trop loin de la côte pour ne serais ce qu'imaginer qu'il puisse exister autant d'eau quelque part, on ne m'a jamais appris à nager, on ne m'a jamais dit ce que s'était, aujourd'hui, je connais bien, l'océan surtout ; celui qu'on traverse, que l'on enjambe avec nos rêves dans les bagages, ça oui je le connais bien, tellement que toute cette eau qui barbote dans son trou, je trouve ça moins beau tout à coup, à force de le faire ce voyage, on en perd le goût de l'aventure, ça m'a usé le dos de porter tout ça à bout de bras, user l'esprit aussi, mes envies de conquêtes ont l'odeur du renfermé, le nouveau monde, c'est bon pour le tourisme pas pour la vie de famille, sauf quand on a cinq ans, à cet âge-là tout se dévore ; ma gosse elle aime l'eau, les bateaux et les voyages sans retour, j'ai eu beau lui dire, lui expliquer que si on prenait la mer s'était pour quitter son père mais toujours elle écoute sans comprendre ou peut-être sans vouloir, puisque, après la ballade et les châteaux de sable, ou peut-être demain au goûter, on rentrera à la maison, cette maison toujours si loin d'ici, passer de la neige au palmier ça a dû me faire un choc thermique parce que je n'ai pas insisté, de toutes façons pour les enfants, après est un champs de possible infini, cette petite c'est à peu près tout ce qui me reste de tangible, être mère ça change tout, du moins beaucoup, ça donne des ailes et des nageoires, ça donne la rage quand il en faut ; on n'a pas idée quand on est gosse de ce que c'est que d'être parent, tout ce temps que ça prend de s'occuper, de protéger un enfant, même si c'est vrai, parfois, je m'emporte, je me sens dépassée, je ne sais plus lui parler à la petite, je bégaie de l'intérieur, ça me fait penser que même dehors, je suis encore tout en dedans, je n'arrive plus à m'évader, je me demande si ça va pour ma môme, qu'elle ne m'attrape pas le mal du pays, encore qu'elle ne connaît sûrement pas ces maux-là ; moi, je ne m'y ferais jamais, j'ai toujours envie de rentrer, de repartir, sauter dans un avion parce que j'en ai ma claque des bateaux, du mal de mer et de tout ce bleu à perte de vue, j'ai envie de prendre le large, mais cette fois, la tête dans les nuages, tourner la page, m'en aller d'ici, qu'on se casse d'Alger ! Sauf que voilà, il y a cette histoire de papier, j'avais pourtant tout fait dans les règles, la demande de séjour, un job comme il faut et cette fichue ordonnance de garde pour la petite, il ne manquait plus que la signature, sa signature pour que l'on reste là-bas, c'est rien une signature, ça ne prend pas de temps, ça ne demande pas beaucoup, du coup, je pensais que ça irais vite, au début du moins, juste un coup de téléphone, un fax, juste signez là, merci et bon vent, bon voyage, tu parles ! Parfois j'oublie que celui-là a un bon ratio distance emmerdement, c'était déjà trop demandé et ce n'est pourtant pas grand-chose, pas grand-chose mais ça me clou au sol, je suis sure que de son bout du monde il se marre, je le sais, je l'entends souvent quand les bruits de la nuit s'estompent dans le sommeil, heureusement il y a ma môme, elle s'est de la réalité tangible, du concret, tellement d'ailleurs que je la voit se gratter la tête, les poux surement, c'est très concret un poux, très terre à tête et les enfants de partout en ont, pourtant j'ai tiré, tressé et attaché mais ça ne change rien, si il y a bien une chose d'universelle sur cette fichue planète c'est bien ces sales bêtes, et puis la petite se plaignait, comme quoi je tirais trop fort, j'ai lâché du lest sur sa tignasse, je n'aurais pas dû, il ne faut pas toujours écouter les enfants qui pleurs, pas toujours leur laisser le choix, de toutes façon ils s'y font très bien, ça leur convient que l'on décide c'est plus facile, les responsabilités ça viendra bien assez vite avec l'âge ; la mienne n'a pas moufté quand on est parti, pas compris non plus, mais elle n'a rien dit, celui qui se fait un peu trop entendre, c'est son père, non mais celui-là quel rhatai, je ne le dirais jamais à haute voix parce qu'ici, c'est ce qu'il y a de pire comme insulte, mais ça lui va bien, non vraiment ça lui va comme un gant ; qu'est-ce que je peux trouver de mieux ? Tout allait bien là-bas, j'avais les papiers, ces fichus papiers qui sont toujours plus nombreux, j'avais le visa, j'étais en règle, une algérienne en règle qui ne laisserais personne lui caguer dans les grolles, c'est ce que je m'étais dit, sauf qu'avec la gamine et un père encore vivant il me fallait sa signature à lui, non mais on n'a pas idée de donner des responsabilités à des pères démissionnaires, ça vous flingue une existence ce genre de logique, ça vous flingue une traversée, chacun d'un côté de l'océan à se faire les gros yeux, voilà ou on en était, à peu près nul part avec de la mer partout.
à Nesma et sa maman
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Ce voyage de l'intérieur
Short Storyil est des mondes ou l'on peut rester éternellement enfermé, il est des pensées qui nous font voyager. Nouvelle écrite sur le procédé du monologue intérieur, peu de point, fluidité de la pensée au pays des virgules.