Première et dernière partie

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-- Allô... Maman ?

-- ...

Long silence désagréable, je serre les dents, crispées. Ce long silence me met mal à l'aise. Je cherche mes mots, mais je ne trouve rien à rétorquer face au mutisme de maman. Dans son silence, elle manifeste sa colère, dévoile son dégoût.

-- Je voulais t'appeler avant de revenir à la maison, dis-je.

Je ne reconnais pas ma voix, une voix qui tremble, qui doute. Une voix fragilisée par la peur de la perdre si elle décide de raccrocher. Dans la cabine téléphonique, le vent frais a laissé sa place à un froid glacial. Elle ne me répond pas. C'est normal, après huit ans d'absence, je comprends son amertume. Ma grande sœur Sophia, elle aussi a coupé les ponts avec moi. Elles me manquent atrocement.

Je sors à peine de prison et la première chose que je fais, c'est d'appeler l'amour de ma vie, ma maman. Celle qui m'a porté dans son ventre, celle qui m'a élevé, celle qui s'est tuée au labeur pour me nourrir, me vêtir, me faire grandir. Et en échange qu'a-t-elle reçu de ma part ? Des emmerdes.

Elle doit vouloir m'effacer de sa vie, refuse même de m'adresser la parole. Et elle a raison. Je lui ai brisé le cœur lorsque à l'aube les policiers ont brisé sa porte. J'aurais tout fait pour elle. Étant plus jeune, pas très doué dans les études et fasciné par l'argent facile, j'ai mal tourné. 

J'ai passé mon enfance à faire le coursier endoctriné par les dealers du quartier pour des petites sommes. Avec cet argent j'ai pu ensuite acheté une arme, monter une équipe, braquer mon premier magasin de quartier. Les années sont passées, les enjeux aussi.

On dit que l'argent est le nerf de la guerre. Pour moi, c'était simplement pour m'offrir les habits que maman ne pouvait me payer, les dernières chaussures à la mode ou bien le survêt qui rends bien. Les dernières consoles de jeux ou bien les téléphones portables plus cher que notre loyer. C'était des choses qui ne servent à rien je dois bien l'avouer. Avec le reste (on parle quand même d'une somme qui variait entre trois mille et cinq mille euros) bah je remplissais le plus possible le frigo, des fruits et légumes frais chez les meilleures primeurs de France, des morceaux de viande de choix que l'on mangeait d'habitude une seule fois par an. Ou je glissais une enveloppe sous le coussin de maman.

Au début, elle était réticente, bien sûr. Mais quand vous êtes toute seule pour subvenir au besoin de vos enfants qui compte sur vous, quand votre mari vous a abandonné à la première difficulté, que l'état ne fait rien pour vous aider, vous acceptez l'aide de votre fils même si vous savez très bien que l'argent qui sert à payer tout ceci n'est pas propre. Maman priait pour moi tous les soirs avant de dormir. Je l'observais parfois en passant devant sa chambre dans l'embrasure de sa porte. Agenouillée sur son tapis de prière, les mains jointes à hauteur du visage, elle demandait en arabe pardon à dieu pour moi. En traduisant ça donnait quelque chose comme "Protège le des gens qui lui veulent du mal, des gens qui veulent me le retirer. Garde le sous ton regard bienfaiteurs et fait de lui un homme meilleur". À l'époque, la sagesse me faisait défaut. Je n'étais pas à l'aise avec la religion. Je ne comprenais pas pourquoi je devais vénérer une entité invisible qui elle pourtant, était omnisciente. Nous observant parfois attablés en famille devant un morceau de steak haché. Je l'imaginais rire aux éclats quand maman mentait en prétextant qu'elle n'avait pas faim pour en laisser plus pour moi et ma sœur.

À l'époque, en tant que jeune délinquant je faisais pas mal d'aller-retour entre la maison et le commissariat. Même si j'y croyais dur comme fer au fond, impossible d'éviter à tout jamais les forces de l'ordre, évidemment.

Ça a durée à peu près dix ans, bien sur je me faisait attraper pour des délits mineurs, pour les grands, j'avais de la chance. C'était ma mère qui venait me chercher au commissariat. Elle me demandait pourquoi j'avais fait cela, et je lui répondait honnêtement que je savais que c'était idiot mais que je le faisais quand même, elle me regardait pour que je me confie plus : " C'était pour gagner le respect des autres, dans la vie, on est obligé de faire des choses dégueulasses pour s'en sortir". À ces paroles, elle a pleuré, je l'ai prise dans mes bras pour la réconforter.

Debout dans cette cabine téléphonique, me remémorant tout ceci, Je ferme le poing et l'abat dans un bruit sourd contre la vitre face à moi. j'arrive à reprendre une contenance et reprends la parole :

-- Maman, ce n'est pas grave si tu ne veux pas me parler, je ne te reproche rien. Je ne t'en veux pas de ne pas être venu me voir pendant toutes ces années, je sais que c'était trop dur pour toi. Je voulais juste entendre ta voix, mais ce n'est pas grave sache que si tu te reproches quoi que ce soit je te pardonne maman, j'espère qu'un jour tu me pardonneras tout le mal que je t'ai fait, je t'aime.

Un léger crépitement dans le combiné. Sa voix à travers le téléphone me traverse de part en part, mes yeux ce sont emplis de larmes, même après huit ans passé derrière les barreaux je reconnaîtrait entre mille la voix de la femme que j'aime le plus sur cette terre. Le visage de maman se dessine dans ma tête.

-- Je te pardonne mon fils, maintenant rentre à la maison s'il te plaît, il me tarde de te voir.

Allo mamanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant