One Shot

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Je courrais à travers les grands couloirs. Mes petits pas résonnaient dans la structure, me donnant l'impression d'être seul au monde. Par moment, je me stoppais pour écouter si j'étais suivi. Je n'avais pas envie d'aller à l'entrainement. Je savais que je devais apprendre, pour rendre fier père et pour pouvoir accompagner grand frère. Mais bon sang, que je ne voulais pas y aller. Mon précepteur était tellement protecteur qu'il m'étouffait. Je n'aimais pas qu'on me surprotège. Seul mon frère avait des bras assez forts pour me rassurer et m'aimer.

Je poussais les grandes portes une à une, glissant mon nez derrière, le cherchant. Mais rien. Les pièces restaient obstinément vides et aucuns sons n'indiquaient la présence d'un être vivant dans la bâtisse. Je poussais un soupir de frustration qui fit vibrer les meubles alentours. Je les observais se calmer, pensant rapidement au fait que grand frère ne les aurait même pas fait bouger, vu son contrôle. Ou alors les meubles auraient explosé sur le coup sous sa puissance. Cela me fit sourire niaisement. Grand frère était tellement puissant. Même père le disait. Tout le monde le disait. J'étais si fier d'être son frère.

Je continuais mon chemin. Je poussais prudemment la porte de son nid. Personne n'entrait normalement dans le nid d'un autre démon, c'était le meilleur moyen de se faire tuer. J'étais le seul qu'il autorisait à entrer dans le sien. Mais grand frère n'était pas là. J'étais sur qu'il était à la maison. Il était rentré de mission dans la nuit. Je grimaçais mais continuais à le chercher. Je voulais voir mon frère.

Je poussais toutes les portes, cherchant dans chaque cour, dans chaque tour. Plus je cherchais et plus je me sentais mal: grand frère venait toujours me voir en rentrant de mission. A moins que père ne l'accapare. Je serrais les dents. Père n'avait pas le droit de me voler mon grand frère. C'était mon grand frère à moi. Celui qui me laissait dormir à ses côtés. Celui qui me caressait doucement la tête quand ça n'allait pas. Malgré son regard froid et distant, je savais qu'il m'aimait et qu'il me protégerait toujours. Au bout d'un moment, exaspéré par mes recherches, je tapais du pied de frustration, exactement comme l'enfant que j'étais.

C'est là que je l'ai entendu. Un son lointain, cristallin, si peu à sa place en enfer. Je l'ai suivi, jusqu'au nid de mon frère. Pourquoi ne l'avais-je pas entendu avant, je me le demandais. J'entrais sur la pointe des pieds comme-ci un monstre risquait de me tomber dessus. Et je suivais la musique jusqu'à un mur. Je le regardais circonspect. Puis, posant mes mains dessus, je le poussais de toutes mes forces. Il bougea. Je me retenais de sauter de joie par ma découverte. J'ignorais qu'il existait ce genre de passage dans le château.

Je m'enfonçais dans un couloir de cristal noir, éclairé par des brasiers infernaux accrochés aux murs. Je les regardais à peine, accélérant juste l'allure. Jusqu'à pénétrer dans une grande salle, un dôme, illuminé par un soleil artificiel. Et le plafond voûté faisait apparaitre les constellations du monde d'au-dessus. Mon regard les effleurait rapidement avant de se reporter sur la forme au centre de la pièce. Mon frère était installé devant un drôle de meuble, un piano il me semblait. Ses longs doigts agiles volaient par-dessus les touches bicolores et des sons sortaient du piano à chaque coup. Il semblait complètement absorbé, se laissant emporter par la musique qu'il produisait.

Je commençais à le rejoindre, fasciné par cette nouvelle facette de lui. Et soudain, il se mit à chanter. Jamais je n'aurais pensé que sa voix et cette musique mélodieuse se marieraient si bien avec la langue gutturale des démons. Et pourtant, je n'avais jamais entendu pareil harmonie. Je ne comprenais pas un traitre mot de ce qu'il disait, mais je percevais une telle tristesse, une telle fragilité émanée de lui que mes cœurs se serrèrent. Mon grand frère si fort ne pouvait pas être triste. Après tout, c'était lui qui me soutenait.

Je m'avançais lentement vers lui, prenant place à son côté tandis que ses doigts parcouraient toujours plus vite le clavier devant lui. Et dans un élan de tendresse, je le serrais dans mes bras. Il ne m'a pas repoussé. Au contraire, son chant changea subtilement, semblant me remercier de ma simple présence. Je souriais faiblement. J'avais enfin été une force pour mon frère.





Zeldris ouvrit les yeux lentement, les laissant s'adapter à la lumière du crépuscule. Le soleil s'abaissait tranquillement à l'horizon tandis que le prince l'observait depuis une fenêtre du château. Ses épaules d'ordinaires raides, tombaient sous le poids de la fatigue. Il se retourna et se dirigea d'un pas mécanique vers les profondeurs du palais de pierre. Une fois devant l'immense cocon de son frère, il s'arrêta et le contempla d'un regard absent. Il n'entendit même pas les pas légers de son maître qui s'approchait de lui.

- Un problème, maitre Zeldris?

Le jeune démon n'accorda pas un regard à Cusack qui attendait une réponse avec inquiétude.

- Non. J'ai juste fait un rêve étrange, finit par lâcher le démon aux cheveux noirs sans détacher son regard de son frère.

Il n'ajouta rien d'autre et son maitre comprit qu'il voulait être seul. Après plusieurs minutes, le prince finit par s'asseoir face à son ainé et pour la toute première fois de sa vie, se mit à chantonner un air familier. Que son frère chantait avant lui, il y a bien longtemps.

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