Deuxième mouvement

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Février 2022, Pékin (Chine)

24e Jeux Olympiques d'Hiver

Je suis accueilli à l'aéroport par les photographes. Mes lunettes de soleil et ma casquette n'ont servi à rien et je crois qu'il était naïf de ma part d'imaginer atterrir en toute discrétion. J'étais attendu de pied ferme depuis plusieurs heures et je dois maintenant donner le change. Au milieu des crépitements des flashs, je suis submergé.

Un sourire vissé sur les lèvres, je m'arrête quelques instants pour poser face aux appareils photos. Je dois avoir un teint abominable après ces 10 heures de vol, mais il est trop tard pour me refaire une beauté. On n'a signalé à l'atterrissage la présence de quelques photographes, cependant j'ignorais qu'ils seraient si nombreux. J'imaginais qu'au milieu de toutes les arrivées, je pourrais passer entre les mailles du filet. J'ai bien fait de conseiller à Min-Jae de rester avec les autres membres de la fédération. Nous nous retrouverons plus tard.

Je salue de la main les quelques fans que je reconnais à leurs téléphones portables, à côté du lourd matériel des professionnels. Sur les conseils du manager, je poursuis mon chemin jusqu'à la voiture salutaire, à quelques mètres de là. Mon garde du corps me dégage le passage, repoussant un paparazzi un peu trop téméraire.

Très vite, je me retrouve à l'abri derrière les vitres teintées. Je respire.

J'ai beau être habitué, je préfère lorsque les événements sont prévus à l'avance et que tout est parfaitement organisé. Millimétré. Je tiens à contrôler mon image, puisque c'est devenu mon fond de commerce.

Je n'avais pas prévu de faire du mannequinat, et encore moins d'y gagner une notoriété internationale. Lorsqu'on est venu me chercher avec un contrat pour une marque sportive après ma victoire aux championnats du monde, j'ai accepté sous les conseils de mon agent. Avait-il pressenti l'immense réussite de cette campagne de communication ? Si j'avais su ce que cela impliquait, notamment pour ma vie privée, j'aurais refusé.

Les contrats se sont enchaînés à toute vitesse et aujourd'hui, on me retrouve dans les pages des magazines de mode, sur les affiches dans le métro et dans les rues du monde entier. Mes cheveux blonds, mes yeux bleus, mes airs vaguement androgynes et ma musculature de sportif, tout cela est particulièrement vendeur. Vêtements, parfums, baskets, montres... Je vends le luxe à la française. Je suis sûr que la plupart des personnes qui connaissent mon visage ignorent totalement que je suis sportif de haut niveau.

Il y a des pays où je suis plus populaire que d'autres. Heureusement, ce n'est pas en France que j'ai le plus de succès. Par contre, je fais fureur en Europe de l'Est, surtout en Russie et – comme nous passions un an à l'université de Séoul à l'époque où j'ai commencé – en Corée du Sud. Ma pratique du coréen s'est d'ailleurs beaucoup améliorée, même s'il paraît que mon accent reste « adorable ». Je crois que c'est une manière polie de me signifier qu'il est abominable.

Je tente de rester détaché face à l'agitation autour de moi. Je sais pertinemment qu'elle ne durera pas. Encore un ou deux ans, tout au plus. Nous verrons. Peut-être que je me trompe ? Peut-être qu'au contraire, ma popularité va grimper en flèche après les Jeux. Ou peut-être vais-je échouer dès les premières épreuves ? Je n'aurais alors plus qu'à prendre un billet de retour pour la France et tirer un trait sur mes projets.

Mon taxi me mène droit vers l'hôtel de la délégation française. Les yeux dans le vague, j'imagine déjà la suite. Tout est méticuleusement préparé. Ou presque. Tout ce qui me reste à faire, c'est remporter l'or. En espérant que cette fois, je ne me défile pas.

***

Je suis sorti de l'avion bien après Galahad. En voyant les photographes, je comprends que j'ai fait le bon choix. Je l'imagine ébloui par les flashs, tentant de se frayer un chemin jusqu'à sa voiture. Il devait avoir un grand sourire scotché sur les lèvres, malgré la surprise et le malaise. Il est doué pour ça. La prestation publique, la représentation, les photos.

Coming-out en deux mouvementsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant