Musique proposée : I Scare Myself - Beth Crowley. (En média).
- Je voyais des lumières défiler devant mes yeux à peine ouverts. Elles m'éblouissaient par intermittence, comme si elles se mettaient à clignoter à chaque fois que mes paupières se relevaient. Je ne comprenais pas où j'étais, ce que je faisais là et pourquoi je ne pouvais pas bouger. Mes poignets me faisaient mal et j'avais envie de vomir, mais tout ce que je voyais était un espèce d'échiquier géant, éclairé par des néons trop clairs. Je n'entendais que des bourdonnements, des gens qui s'affairaient autour de moi, au-dessus de moi, même. Je commençais à avoir peur, à me demander pourquoi mon corps avançait sans que je n'arrive à remuer, pourquoi des silhouettes blanches s'affolaient autour de moi, pourquoi je n'étais plus sur le toit à supplier les boules de coton grises de m'aider à respirer.
Il m'a fallu un moment pour analyser mon nouvel environnement, mais je crois que je me suis vraiment rendu compte que j'étais aux urgences quand j'ai senti des aiguilles me transpercer la peau sans prévenir. Les silhouettes blanches n'étaient que les seuls médecins encore présents dans l'hôpital, un dimanche, à quatre heures du matin. Je les ai longtemps détestés, vous savez. Je les déteste toujours, d'ailleurs. Je ne leur avais rien demandé, moi. Pourquoi il a fallu qu'ils s'acharnent sur mon pauvre corps pour le faire revenir à la vie ? Ils n'auraient pas pu s'occuper des autres, des gens malades, de ceux qui voulaient vivre ? Je n'avais pas besoin d'eux. Je ne voulais pas être sauvé. Je croyais qu'en me cachant sur un toit, après avoir avalé des boites entières de calmants et m'être déchiré la chair, aurait été un message suffisamment clair.
J'ai essayé de me débattre, de leur dire de me laisser m'envoler, mais ils n'ont rien voulu entendre. Une vie était en danger, il fallait la sortir de là, c'est tout ce qu'ils voyaient. Peu importe si cette vie hurlait pour qu'on la laisse s'éteindre, peu importe si cette vie baignait dans le sang de l'amour qu'on venait d'égorger, peu importe si la douleur était trop intense pour cette vie sans substance. Peu importe, tant qu'on les félicitait d'avoir fait repartir un cœur, aussi déchiqueté soit-il. De toute façon, avec leur salaire mirobolant et leur petite vie bien rangée, ils auraient été incapables de comprendre que certaines âmes étaient destinées à danser avec la mort à chaque putain de seconde de leur existence.
- Et la tienne l'était ?
- Bien sûr, elle l'a toujours été. Depuis la mort de ma mère, son destin s'est scellé. Je l'ai toujours su, au fond, que je ne méritais pas de respirer aussi profondément que les autres. Mais je me suis battu, pendant des années, pour prouver au monde qu'il avait tort et que moi aussi, je devais avoir ma chance. Que moi aussi, un jour, j'aurais arrêté de fonctionner en apnée pour récupérer tout l'oxygène qu'on m'a toujours volé. Mais j'avais tort. Un garçon comme moi, ça ne mérite pas de se sentir mieux. Ça ne mérite pas d'être heureux et de sourire jusqu'à s'en péter la mâchoire. Ça ne mérite pas d'avoir quelqu'un pour lui rappeler qu'il existe et que son cœur a le droit de battre.
Je le savais en plus, mais ça ne m'a pas empêché d'y croire, vous savez. Ça ne m'a pas empêché de les croire, elle et ses yeux sombres. Je ne sais pas trop comment elle s'y est prise, je ne sais pas trop comment elle a réussi à franchir le mur et à fracasser l'armure, mais elle l'a fait. Et une fois installée, elle n'a plus bougé. C'était tellement étrange comme sensation, quand elle était là. J'avais l'impression de voir le sang pulser dans mes veines, de sentir mon cœur se réchauffer, de ressentir la vie s'emparer de mes muscles un par un et de retrouver l'âme que je pensais avoir perdue. Je souriais souvent, je riais même. Elle était tellement exceptionnelle. Je n'avais pas besoin de la toucher pour ressentir tout l'amour qui émanait de mon esprit un peu taré. Et c'est à partir de là que j'ai compris que j'étais piégé. Elle m'avait eu, elle m'avait emprisonné, elle venait d'avoir du pouvoir sur moi : j'étais tombé amoureux.
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L'erreur
Short StoryCertains n'aiment qu'à moitié et d'autres beaucoup trop. Mais peut-être que ça n'a aucune importance. Peut-être que le problème n'est pas l'intensité à laquelle on s'aime, mais l'amour lui-même. Et si une simple erreur pouvait détruire une vie ?