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Marseille, le 27 juin

Je cherche à tâtons mes écouteurs rangés sur ma table de nuit. Je me suis endormie en écoutant le remix de « Bella ciao ». Je les récupère et les enfonce dans mes oreilles. Je me connecte à Spotify. « Una mattina mi sono alzato », les premières notes raniment ma motivation. J'aime me réveiller en musique. Je m'étire, me lève et me dirige dans la cuisine prendre mon petit déjeuner.

Ma mère a déjà préparé du pain grillé . Je prend une tartine et l'embrasse au passage. Du café, non merci, son goût amer en fait un breuvage infect, ou plutôt devrais je dire « je n'aime pas le café ». Je beurre ma tranche de pain en prenant soin de recouvrir chaque centimètres carrés y compris les coins. J' avale cul-sec un verre de jus d'orange et le pose en reprenant mon souffle.

Ma mère s'affaire autours de son attaché case. Ses cheveux sont retenus par un chignon. Elle est très belle, mais elle me semble anormalement agitée aujourd'hui. Ses lèvres bougent. Je réalise qu'elle me parle. Mince ! Je retire mes écouteurs.

— ... C'est pour ça qu'on se retrouve ce soir à dix huit heure à la maison. Sois à l'heure. Bonne journée ma chérie, me dit elle.

Elle dépose un baiser sur mon front et part travailler. Je n'ai absolument rien entendu de ce qu'elle m'a raconté. J'ai réussi à capter l'horaire et le lieu d'un rendez vous. J'imagine que c'est l'essentiel.

Je débranche mes écouteurs, augmente le son de mon téléphone et file me doucher. Je fais attention à ne pas mouiller mes longs cheveux bruns que j'ai immobilisés avec une pince géante. Mes vêtements, préparés la veille n'attendent que mes petites fesses propres. Du classique, rien que du classique et encore du classique. Une jupe noire mi longue, un chemisier et des sandales.

J'hydrate ma peau, j'agrandis mes cils avec un peu de mascaras et me parfume. Je colore mes lèvres avec le rouge Dior haute couture de ma mère que j'estompe avec mon index. Être la plus jeune d'un amphi bondé n'est pas très simple. Si je peux gagner quelque années grâce à un maquillage bien pensé, je ne m'en prive jamais .

Je m'observe dans le miroir. Zut, je ressemble toujours et encore à une petite fille. J'ai dix sept ans, bientôt dix huit, j'ai déjà eu mon bac. J'ai même trois années d'avance. Je viens de passer ma licence de droit, une vrai graine de génie, mais à mon grand désespoir, mon corps n'a pas l'avance de mon cerveau.

A l'arrêt de bus, je m'installe comme tous les matins sur le banc de l'abris. J'ai toujours cinq minutes d'avance. Cinq minutes que je consacre a vérifier le contenu de mon sac. Je passe en revue ma poche des essentiels. Mouchoirs, crème pour les mains , téléphone et portefeuille obéissent à un schéma de rangement précis, tout comme mes bouquins classés du plus grand au plus petit.

Le bus quatorze n'ai jamais en retard. Le chauffeur me sourit quand je monte à bord et chaque jour je lui montre mon abonnement. La photo date de quelques années. J'ai encore mon appareil dentaire. On peut y lire Luciana, Louise, Anna Grandseigne. Mes trois prénoms ne font vraiment pas vingt-et-unième  siècles, ni mon nom de famille d'ailleurs, mais je n'ai pas choisi.

Le trajet est court. Il m'arrive parfois de le faire à vélo. J'évite ainsi de me faire intoxiquer par l'odeur de tabac brun de ma voisine qui attend avec moi. Je passe alors sur le vieux port et longe la mer jusqu'à la pointe rouge. Marseille est une ville sympa . Je la connais par coeur, j'ai grandis sous l'œil de la bonne mère.

Croque la Pomme ! Où les histoires vivent. Découvrez maintenant