Avant goût

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« Les gens disent qu'ils t'aiment mais ce qu'ils veulent dire c'est qu'ils aiment la sensation que ça leur procure de penser à quelqu'un d'autre, pour une fois.»


« Si tu ne t'aimes pas, alors je t'aimerai pour deux. À toi, à notre histoire. »

9 MARS 2018

19h42.

Mes pieds claquent sur le sol en un rythme frénétique tandis que mon corps se faufile à une vitesse ahurissante entre les obstacles qui se dressent sur mon chemin. Mon coeur pulse fort et vite. Il cogne dans ma poitrine alors que d'une impulsion, je gravis les escaliers quatre à quatre. Le souffle court, j'ouvre la porte avec fracas et la referme d'un coup de pied.

Respire.
Juste, respire.

Je reste quelques secondes les bras ballants – complètement stoïque. Le regard posé sur l'entièreté de cette chambre d'amis et qui, quand elle s'impose est aussi accessoirement la mienne. Mes prunelles vagabondent un instant sur le bureau gris foncé et sur cette stupide boîte à chaussure. Je m'avance. Ma respiration est semblable à celle d'un animal. Mes mains tremblent et je donnerai n'importe quoi pour maîtriser le flot d'émotions qui me submerge.

Respire.

Mes doigts se cramponnent si fort contre la matière du meuble que mes jointures deviennent blanche. Mon myocarde se comprime et j'halète. Les mots tournent en boucle dans ma tête. Ils se répercutent de plus en plus fort. Ils valsent ; dansent. La pression augmente dans ma cage thoracique. Ça tourne. Je ne comprends pas. Je ne comprends pas comment il est possible de faire autant de mal à une personne et à continuer de vivre comme si c'était complètement insignifiant. Une envie irrépressible de hurler ; de pleurer me prend à la gorge.

Je ne pleurerai pas.

Pourtant, malgré ma litanie, mon corps se retrouve secoué de sanglot. La boule dans ma gorge me fait pousser des gémissements impossibles à retenir que je tente d'étouffer par dessus tout. Une question ne cesse de retentir dans ma boite crânienne : pourquoi ? Pourquoi ai-je aussi mal ? Pourquoi me font-ils ça ? Pourquoi ? La colère m'envahit. Je tremble. Je suffoque à l'intérieur. Parce que quoi que je fasse, il m'est impossible d'ignorer ce qui est entrain de se produire. Je suis tout bonnement incapable de faire abstraction de ses paroles.

– Je vous hais ! Je te hais !

Et d'un geste, j'attrape le bracelet rose dans le carton – celui qu'elle m'a donnée – et je le jette à travers la pièce. Il va s'écraser avec fracas contre la porte avant de retomber bruyamment sur le parquet. Je me fiche qu'ils m'entendent en bas. Je me moque que lui m'entende. Et, comme si on venait de m'asséner un coup de poing, je me plie en deux. Les larmes roulent et plus les secondes défilent, plus elles maculent mes joues. L'étau autour de mon muscle cardiaque se fait plus violent, plus intense. Le virus me dévore les entrailles et je pose une main sur mon ventre comme pour atténuer la douleur. Elle irradie pourtant de partout. Elle prend le contrôle.

Respire.
Ça va aller.

Je me répète ces petits mots en boucle – inhale l'air – dans l'espoir qu'ils vont avoir un effet magique, en vain. Comme si ces deux petites phrases allaient pouvoir chasser le désespoir qui me domine. J'ai tout perdu. Je ne les mérite plus. Je ne suis pas suffisante pour lui non plus. Peut-être que finalement la seule et unique chose que je sais faire de bien, c'est tout foirer.

Un coup retentit contre la porte.

Je sursaute et avant même que j'ai pu dire quoi que ce soit, j'entends la porte grincer. Je fais volte face et tente d'essuyer les perles salées sur ma peau. Mon rythme est proche de l'explosion. Tout mon être se tend. Je ne veux pas le voir. Je ne veux pas qu'il soit près de moi. Mais ses pas retentissent sur le sol. Je le sens derrière mon dos. Car sa simple présence dans une pièce me donne la sensation que toutes mes facultés sont exacerbées, que je pourrais sentir son parfum ; son souffle ; juste à quelques mètres de moi.

– Qu'est ce qu'il se passe ?

Tout est de ta faute.

– Ma mère... Mon frère... J'ai reçu des messages horribles, Brent. Comment on peut faire ça ? Comment on peut faire autant de mal à son propre enfant ?

Je me retourne et je lui fais face, le regard embué d'eau. Je vois son visage inexpressif, la lueur dans ses yeux totalement indéchiffrable. Il n'est plus là, il n'est plus celui que j'ai connu. Lui aussi est parti. Le poids sur ma cage thoracique revient de plus belle et je me remets à sangloter.

– Tu ne dois pas faire attention à ce qu'elle dit.

Trop facile à dire.

La moue déformer par le cri que je retiens de pousser, je m'avance vers lui et me jette à son cou. J'ai juste besoin de sentir sa présence ; besoin de sentir que je compte pour quelqu'un ; qu'il n'est pas définitivement parti comme ma famille. Mais quand je le sens passer ses bras autour de mon corps, je ne ressens plus son étreinte se resserrer si fort qu'il aurait pu réparer les morceaux de mon coeur, je ne ressens plus son poul battre plus vite, ni son nez s'enfouir dans mes cheveux. Il ne retient presque pas alors que moi je m'accroche à lui, d'une façon désespérée. Je sanglote contre son torse, tâchant son tee-shirt.

– Tu vois, tout le monde m'abandonne.

Je l'entends retenir son souffle. Je suis fatiguée. Je suis faible et c'est pour ça que je me réfugie dans ses bras. Juste parce qu'il a le don de me redonner la force.

– Je ne t'abandonne pas, marmonne-t-il.

Mais je sais qu'il ment.

Pas d'amour dans tes yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant