Elle était d'un beau rouge, ça elle ne pouvait pas oublier. Chaque soir, lorsqu'elle se mettait à la fenêtre pour rêvasser, elle ne pouvait détacher son regard de cette ferme aux couleurs si vives. Elle l'avait tant aimée, et elle l'aimait encore. C'était un de ces souvenirs qu'elle chérissait plus que tout, et qu'elle ne gardait que pour elle.
L'on devait être au mois de mai. L'horizon reprenait sa dorure habituelle, celle qu'elle trouvait si belle à cette période. Mais ce matin-là n'était pas pareil. Elle avait beau tout faire pour ne plus y penser, il revenait sans cesse, toutes les nuits. Elle le revoyait, encore et encore, dans cette berline noire. Elle espionnait la scène, cachée derrière ses rideaux. En bas, dans la cour, ses parents discutaient avec les inconnus à qui appartenait la voiture. Mais ce n'était pas cela qui l'intéressait. Elle préférait se concentrer sur Thomas. Il avait l'air si bouleversé. Elle voulut ouvrir la fenêtre, lui crier combien elle l'avait aimé.
« Mademoiselle Rosaly, il ne fait pas bon de surveiller ainsi les affaires des autres », lui rappela la vieille femme qui venait d'entrer dans sa chambre. Habillée de sa tenue de travail, un tablier bleu usé par les années et une robe aux couleurs délavées, elle faisait pitié à la jeune fille. Toujours là à se mêler de ce qui ne la regardait pas, au lieu de retourner récurer la maison. Ah ! Qu'est-ce qu'elle pouvait la haïr cette vieille fille. Ne faites pas-ci, ne faites pas-ça mademoiselle Rosaly. Ça avait le don de l'énerver plus que tout, que l'on s'intéresse à sa vie privée.
- Promis après j'arrête, mais accordez-moi au moins cette faveur, Antonia.
Sa voix frêle, presque suppliante, laissait s'envoler ses maigres espoirs. On ne pouvait pas lui enlever ce droit, ce droit de le voir une ultime fois. Le fait de ne pas pouvoir lui parler, ne pas pouvoir le prendre dans ses bras, ne pas pouvoir le serrer fort contre elle, lui était déjà atroce. Alors si en plus cette fichue vieille fille venait l'embêter avec son règlement ! Elle n'en supporterait pas plus.
Les larmes venaient seules. Elle n'arrivait plus à les retenir. Tout arrivait très vite, si vite, trop vite. Trop vite à son goût.
Elle descendit les marches d'escalier en courant, rejoignit le rez-de-chaussée et passa par la porte d'entrée déjà ouverte. Ses sandales foulaient le chemin de terre. Sa robe légère lui revenait contre, l'handicapant dans sa course effrénée.
Loin devant elle, les roues piétinaient tout sur leur passage. La tache noire s'amenuisait dans son champ de vision. Courant de plus en plus vite, elle s'époumona pour lui. Elle s'époumona pour rattraper cette mince lueur d'espoir.
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Le Garçon de Ferme
Historical FictionThomas habitait la maison d'en face. Celle de son enfance. Jamais elle ne pourra se l'enlever de la tête, jamais elle ne pourra oublier.