Le Sang Défendu

Chapitre 19

Des interrogations insensées s'entassaient sans fin dans son esprit. Alix semblait en pleine préparation d'un mélange qui ne rassurait en rien la blessée au pied du mur. Sans compter que ces étranges ou plutôt, inquiétants échos, n'auguraient rien d'anodin. Elle ne parvenait même pas à identifier l'origine exacte de tous ces sons.

Clap clap clap.

Une goutte de sueur s'égara sur le décolleté de l'estropiée. L'attente était longue, décourageante, ardue, mais elle n'en dit pas un mot, de crainte de brusquer l'élan de sa fidèle amie et aggraver son cas. Elle pouvait encore tenir. Oui, elle le pouvait encore. Elle n'avait par ailleurs d'autres choix que de se confier aux mains de sa potentielle guérisseuse pour espérer se délester de cette marque.

Lorsque cette dernière réapparut dans la pièce, une grimace déforma son visage de long en large. La transparence du verre qu'Alix détenait en main, réverbérait une couleur inaccoutumée qui ne mit que peu de temps à rebuter la blessée. Ou plutôt, à la débecter.

— Alix, c'est... quoi ça ? S'inquiéta-t-elle.

— C'est pas beau à voir, je sais, commença la tatouée en s'accroupissant face à elle. Mais c'est ce qui te permettra de cicatriser en quelques secondes. Une morsure de métamorphe peut très vite s'infecter s'il ne s'est pas arrêté à temps. Comme là, en l'occurrence.

Une seconde crispation vint altérer ses expressions. La texture épaisse et visqueuse ne lui inspirait ni courage ni confiance. Elle fixait le contenu avec stupéfaction, priant pour qu'il ne doive emprunter le chemin de son estomac. Son système digestif refuserait catégoriquement l'accueil de cette mixture. Vraiment. Elle arbora alors une mine suppliante pour prononcer :

— Je t'en supplie, ne m'dis pas que je dois avaler ça ?

— Non. J'te demande juste un peu de silence.

Elle s'exécuta, peu certaine de l'usage de cet étrange contenu. Elle observait son amie avec scepticisme qui, par une inspiration, s'offrit une bouffée de courage. Elle ignorait ce qu'elle s'apprêtait à pratiquer mais compte tenu de son état, elle n'avait d'autre choix que de se fier à ses nombreuses connaissances.

Alix résultait d'une descendance légendaire de sorciers. Les Colman disposaient tous de capacités, à tout le moins, longtemps déifiées par un grand nombre de créatures. L'une de ses tantes avait hérité de l'aptitude à manipuler les ombres d'autrui. En d'autres termes, une maîtrise redoutable si elle daignait l'utiliser à mauvais escient. Sa grand mère, Anabella, qui n'était autre qu'une vieille amie de la mère de Léna, maîtrisait l'esprit des animaux avec une incontournable aisance. Et elle ne parlait pas des autres membres de sa famille, aux dons tout aussi renversants les uns que les autres. De quoi faire fuir toute éspèce aux intentions malveillantes les concernant.

Dans la seconde qui suivit, Alix ferma les yeux pour formuler plusieurs phrases inaudibles. La victime fronça les sourcils, reconnaissant non sans mal l'emploi du latin pour ce syntagme spirituel. Ce n'était que la deuxième fois qu'elle assistait à l'ébauche d'un sort tel que celui-ci. Autant dire que la fascination ne s'amenuisait toujours pas. Elle ne prêtait même plus attention aux frisotis fixés par la sudation sur ses joues.

Les doigts vernis de la pratiquante se crispaient sur le verre, tant et si bien que l'objet menaça de se craqueler sous sa poigne. Elle grimaça à plusieurs reprises par l'arduité de cet accomplissement, ce à quoi Léna retint une suite de questions. Elle espérait de tout coeur qu'Alix le lui enseigne, sans quoi, elle serait contrainte de la contacter à la moindre complication. Comment pouvait-elle connaître aussi aisément toutes ces recettes saugrenues ?

Extirpée de ses réflexions par l'éclat de voix d'Alix, qui ne murmurait à présent plus ses paroles, elle sursauta à l'apparition subite d'une flamme jaillissant par dessus le liquide. Si elle s'attendait à ce qu'elle s'éteigne dans la seconde, elle fut surprise de la tenue du flamboiement.