Chapitre 2 : Le Grand Lac de L'ours

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   La voiture roulait sur un chemin en béton, prudemment et lentement. Je contemplais à travers la vitre les nombreux sapins qui nous accueillaient. Ils étaient d'un vert vif mais blanchissaient à l'extrémité de leurs feuillages. La route était lisse et vide, on n'avait vu encore aucune voiture depuis qu'on était entré. Tout individu normal aurait roulé à 100 km/h. Mais j'avais toujours pensé que Fred n'était pas normal. Il protecteur, un peu trop à mon gout. Ses deux grosses mains serraient le volant avec tant de précaution...


Je retire mes écouteurs lorsque ma grand-mère se retourna pour m'adresser un sourire chaleureux. Elle a toujours été affectueuse et amicale à mon égard. Je me doutais bien qu'elle avait dû être agrémentée en apprenant mon arrivée ici. Je lui rendis son sourire avant de remettre mes écouteurs. Shadow of The Day. Je ressentais chaque vibration et chaque note musicale provenant des oreillettes. Je fermai alors les yeux, mon index se posa sur le poussoir pour ouvrir la vitre. Un vent froid soufflait sur mon visage. Des gouttelettes provenant de mes yeux longeaient sur mes tempes.


 
« — Ferme la fenêtre ma chérie, tu vas attraper froid. »


 
J'ouvris aussitôt mes yeux et j'obéis. Depuis toujours, Mamie avait l'habitude de me traiter comme une petite nature fragile. Je ne lui en voulais pas, je m'en voulais plus à moi de l'avoir délaissé ces dernières années.


Alors que la radio commençait à délirer, Fred décida de l'éteindre. Je ne pouvais pas définir Fred comme un employé de la maison. Aussi loin que je me souvienne, il avait toujours été aux côtés de ma grand-mère. Aujourd'hui, âgé de cinquante ans, il avait finalement décidé de continuer ses services chez elle sans rien demander en échange. Fred avait pourtant l'apparence d'un homme dont on devait se méfier. Des cheveux noirs abîmés comme ceux d'un corbeau, il était géant et assez costaud, ses yeux étaient sombres et ses sourcils volumineux. Il faisait peur à grand nombre d'invités, mais avec le temps, on apprenait à le connaitre et petit à petit, on découvrait un grand cœur caché derrière un corps rempli d'imperfection. Lorsque j'étais enfant, j'avais l'habitude de l'appeler « La Bête » mais c'était pourtant la personne avec qui je passais le plus de temps à la maison lorsqu'on rendait visite à Mamie. Mais lorsque je le vis tout à l'heure à l'aéroport, je sentais que quelque chose avait changé chez lui. Il était renfermé et mystérieux, pas comme avant, c'était différent.

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Après une heure de trajet routier, on était enfin arrivés devant la demeure des Heaven, celle qui renfermait pleins de souvenirs. Elle était aussi grande que dans mes souvenirs. Un toit noir posé sur une immense maison à briques blanches. J'ouvrais le coffre pour y sortir ma valise lorsque Fred la retira assez maladroitement de mes mains. Je lui souris et j'aperçus en échange ses lèvres se courber de quelques centimètres seulement vers le haut mais sans plus. Ensuite, je me dirigeais vers le portail qui menait à une allée qui elle se prolongeait jusqu'à la porte d'entrée. De part et d'autre, on apercevait le jardin entretenu avec amour par ma grand-mère. Elle avait le don d'un grand paysagiste. On ne pouvait qu'être ébloui par le beau lac où flottent paisiblement des fleurs de lotus et par les branches ornementées de fleurs de cerisier. J'entrais par une porte de bois massifs pour atterrir dans un charmant séjour. Des souvenirs s'enclenchèrent aussitôt. Je me revoyais descendant les escaliers à toute vitesse suivie de la grosse voix menaçante de Fred qui résonnait dans toute la maison [...] Sur ma droite se trouvait un salon antique ou chaque meuble racontait sa propre histoire. En revoyant cette veille chaise à bascule qui était devenue aujourd'hui un nie pour les araignées, j'eus un pincement au cœur. Grand-père avait l'habitude d'y passer toutes ses journées en buvant son fameux café sans sucre et en lisant son journal. La maison n'avait plus autant de vie en son absence, même ma grand-mère n'en s'était pas totalement remise : elle gardait dans son armoire plusieurs veilles photos d'eux, chose que j'avais curieusement découverte à ma dernière visite, il y a maintenant cinq ans.


En me retournant, je l'aperçus confortablement assise sur le fauteuil en cuir, juste en fasse de la cheminée. Elle me dévisagea amicalement et m'invita à la rejoindre. Je m'installe doucement près d'elle et nous verse deux verres de tisane chaude. Elle me sourit en guise de remerciement.
Je ressentais fortement la chaleur qui provenait du feu. Elle m'insupportait plus qu'autre chose. Je sentais mes joues se brûler ainsi que tout mon corps se cramer. Aussitôt, je me relevai et informai ma grand-mère que j'allai sortir pour me rafraîchir. Lorsque j'ouvris la grande vitre qui menait au jardin, je vis Refus le chien, courir en ma direction en aboyant fortement. Je m'accroupis en m'attendant à un acte d'affection mais ce dernier planta ses canines dans la chair de mon avant-bras. Je le dégage avec ma main libre aussi fort qu'il avait basculé de trois mètres. Il se mit alors à grogner mais sans pour autant s'approcher de moi. Je poussai un cri aigu. Ma grand-mère vint à ma rescousse mais je ne lui fis pas part de ce qui m'était arrivé pour ne pas l'inquiéter, au lieu, je lui raconta que j'étais tombée en jouant avec Refus.

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Alors que je rangeais mes vêtement dans le placard de ma chambre, je sentis une forte odeur de fruit de mer provenir d'en bas. Après avoir rangé toutes mes affaires, je m'étais attardée sur un meuble où été posé des cadres de photos de mon père et de ma tante, les deux iniques enfants de Thérèse et Carl Heaven, mes grands-parents.
 


« — Luna ! Le diner est prêt. »


 
J'avais enfilé ma robe de nuit en soie avant de descendre en vitesse les escaliers. La maison avait l'air encore plus grande la nuit, on pouvait la comparer à un manoir. Trois couverts étaient installés sur la longue table à manger, je m'assis devant celui de droite laissant la place d'honneur à ma grand-mère. La table était si grande que je trouvais ça dommage que nous étions si peu nombreux, mais après la mort de mon grand-père, les hôtes se faisaient rares. Au fond, Mamie n'était pas très différente de moi, elle n'appréciait pas tellement la compagnie d'autre personne hormis Fred et Refus. Ce dernier se tenait à deux pas de moi, il ronronnait en me voyant et m'aurait surement arraché la gorge si je ne lui avais pas lancé un regard noir. Je me demandais s'il était comme ça avec tous les inconnus mais de toute façon, cette maison n'accueillait plus de monde depuis longtemps. Je m'en voulais de ne pas avoir aidé pour le diner cette nuit-là. Mamie arriva alors avec une grande assiette de poisson et je souris discrètement, fière de mon odorat. J'avais toujours eu la capacité de deviner les différents repas que ma mère préparait à la simple odeur lointaine de ces derniers. Thérèse remarqua mon sourire et me fit part du sien. Elle avait des lèvres fines et roses qui, lorsqu'elles se redressaient, lui faisaient creuser les joues.
 
 
« —   Tu as faim ?, me demanda t-elle. 
   —       Oui, le déjeuner proposé dans l'avion n'était pas fameux.
   —       Tant mieux alors. »
 
 
Je hoche ma tête. Des bruits de pieds se firent entendre derrière moi. C'était Fred, il tenait à la main un briquet. Il se redressa au-dessus de la table afin d'allumer les bougies. Il manquait de la luminosité dans la maison mais ça ne me dérangeait pas vraiment. Il s'assit ensuite devant moi en silence. La maîtresse de la maison nous fit part respectivement d'un sourire qui avait le don de nous faire chaud au cœur avant de nous inviter à commencer la dégustation. Un silence s'était installé. Nous étions les fruits de trois générations mais nous nous ressemblons fortement. Nous ne cherchions pas de sujet de conversation, en fait, nous ne cherchions pas à parler tout court. Au lieu, nous nous échangions des regards à plusieurs reprises, des regards innocents mais tellement profonds. On pouvait en ressortir plus que par des simples mots, on se regardait et on se comprenait.

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J'avais éteint le chauffage dans ma chambre, pour une fois je voulais sentir l'air frais sur ma peau, je n'avais jamais été autant satisfaite du temps. Mais ce n'était pas uniquement la température qui me plaisait. Quelque chose ici était différente. Je ne pouvais pas dire ce que c'était exactement mais ce lieu abritait une partie de moi. Je ne m'étais jamais senti si vivante... Je fixais le plafond alors que toutes les lumières étaient éteintes. Ma main se mit à gratter mon avant-bras, je remontai alors mon pull. Je n'avais pas les mots. La morsure du chien avait disparue, il n'y avait plus que des traces à peine visibles. Comment mon corps avait-il pu guérir la blessure en si peu de temps ? Je n'allais probablement pas dormir cette nuit-là. À cause de cette sensation de bien-être, de la mystérieuse guérison de mes plaies et de cette horloge provenant du premier étage qui résonnait dans ma tête en « tic-tac » interminable.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 18, 2014 ⏰

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