CHAPITRE I :

244 10 0
                                    

J'arrivai enfin à bout de cette pile de copies. Comme chaque dimanche soir, avant de recommencer une nouvelle semaine de cours, je retrouve mes copines dans ce bar en face de mon appartement de fortune. Il faut dire qu'en tant que jeune prof, je ne peux pas me payer la dernière villa connectée sur la colline d'Hollywood. Mais ce petit 20m² me suffit amplement pour me faire à manger, corriger des copies et accueillir un étrangers le temps d'un soir. En tant que prof, ma crainte la plus grande est de croiser des élèves dans un bar alors que je serais un peu trop alcoolisée. J'ai remarqué quelque chose d'étrange : mes élèves me connaissent au lycée en tant que prof et je les connais en tant qu'élèves. Lorsque l'on se rencontre dans un autre environnement, tous nos sens sont perturbés : on s'étonne chacun à notre tour que l'on existe en dehors du lycée. C'est comme si on avait dérangé un livre sur l'étagère, comme si on avait bouleversé l'ordre. Je suis très enclin aux habitudes : j'ai besoin que chaque chose aille sa place sinon, je sors de ma zone de confort. Je n'aime guère me mettre en difficulté, en général, il me faut être accompagnée d'une dose d'adrénaline. Pourtant, je rêve de faire des choses qui me sortent de mes sentiers battus, comme faire un road trip, sauter en parachute... mais pour l'heure, je m'en vais au bar rejoindre ma super bande de copines.

***

Je descends les escaliers de mon appartement et comme à mon habitude, je branche mes écouteurs pour m'évader dans mon utopie. Je regrette cette période adolescente où tout semble insignifiant, où nous ne sommes pas des êtres responsables de tout et de rien et de la misère du monde. Si seulement je n'avais jamais pu sortir de son monde pour entrer dans l'ère adulte et faire face à des responsabilités qui ne sont pas les miennes. Finalement, être tous les jours face à des gamins qui n'ont aucune idée de ce qu'il les attend me préserve. J'ai l'impression de moi-même revivre continuellement mes années lycées, c'est comme si je renaissais chaque lundi matin et de mourais chaque vendredi soir. Etre au lycée me sauve de cette finalité. J'ai d'ailleurs un discours très préservateur avec mes élèves, je n'oublie pas de souvent leur rappeler que tout ce qu'ils vivent n'est qu'éphémère. Ce dont je suis pour l'instant le plus fière, c'est que jusqu'ici je n'ai pas vraiment de regrets. Bien sûr je regrette ce midi de seconde de ne pas avoir pris des boulettes à la cantine quand je le pouvais encore et alors d'avoir voté pour un autre déléguer en classe de première mais je mise à part ça, j'ai toujours pris des décisions pour ne rien regretter plus tard. Pour moi, regretter est la pire des choses : on a été acteur de notre vie pendant un temps, et par manque de courage ou par peur, on n'a pas été capable d'accomplir notre volonté la plus chère. Cela peut paraître paradoxal parce que je ne suis pas une adepte lorsqu'il faut que je me mette en situation étrangère pourtant, quand je dois le faire, je le fais. Même si j'ai mis mes écouteurs pour descendre des escaliers, sortir de mon immeuble et traverser la rue, je suis plutôt satisfaite. Mes copines sont déjà installées et m'ont commandées mon Monaco habituel. Adèle était ravissante, toujours avec son style rock, elle était en dernière année de médecine, elle allait clôturer ses sept années d'études infernales et valider son doctorat. L'année prochaine, elle veut partir à l'étranger. Sans se le dire, les filles et moi profitons le plus possible d'elle. Au début, lorsque je l'ai rencontré, j'avais un crush sur elle. Elle est vraiment magnifique et elle sait ce qu'elle veut – des hommes d'ailleurs – mais je m'étais résolue à être son amie. Ensuite, il y a Marthe. C'est mon amie depuis qu'on est à la maternelle. Elle a monté sa propre agence immobilière, elle sait ce qu'elle veut et elle fonce. Elle a un chéri depuis maintenant six ans. Je pense que c'est elle qui a la vie la plus stable et toute tracée parmi nous. Honnêtement, ça ne me fait pas plus envie que ça. J'ai l'impression que sa vie est actée et qu'il n'y a plus de surprise, il y aura un semblant de « Oh c'est vrai tu vas te marier ? Félicitations ! Oh tu es enceinte ! Félicitations ma belle... ». Au fond, elle le sait mais c'est la vie qu'elle veut, et c'est surement la plus heureuse d'entre nous aussi. Et il y a Louise, la blonde badass qui pécho à tous les coins de rue ! Community manager d'une entreprise, elle a très vite adopté un mode de vie casse-cou et elle connait toutes les dernières nouveautés branchées du moment. Sa vie est contemporaine et elle ne connait pas de limites : elle fait ce qu'elle veut quand elle veut et avec qui elle veut. En bref, on est toute très différentes pourtant on est inséparable. Nos dimanches soirs nous permettent d'aborder la semaine plus sereinement et aussi de faire le point sur ce qu'il s'est passé ces sept derniers jours. On se raconte deux trois potins. Comme à son habitude, Louise a couché avec un nouveau mec mais elle pense que c'est du sérieux ! Si elle en reparle dimanche prochain, et qu'elle ne s'est pas trompé de prénom, alors c'est que s'est déjà plus sérieux qu'avec tous les autres ! Marthe songe à se marier mais veut déménager avant. Quelle surprise ! Adèle est au bout, ses études sont beaucoup trop intenses et d'ailleurs, elle part seulement au bout de trente minutes pour terminer un sujet. En tant que super copine et super prof, c'est souvent que je l'aide à corriger ses thèses. A entendre Louise, « ma vie est plan-plan et je mérite mieux » mais je dois dire que j'aime bien mes petites habitudes. Marthe s'inquiète car je n'ai toujours pas trouvé de personne avec qui faire ma vie ou encore que je n'ai pas pour projet de faire des enfants ! Souvent, je me querelle avec Marthe à ce propos, j'ai l'impression d'avoir une deuxième maman... surement parce que la mienne est transparente !
Après avoir parlé de tout et de rien, et surtout après avoir passé les 22 heures, je décide de rentrer. En rentrant, je me fais chauffer une soupe, prépare mes affaires et décide d'aller me coucher pour être en forme demain.

Je travaille dans une cité scolaire, c'est-à-dire qu'il y a des collégiens, des lycéens et des classes prépas. En tant que prof agrégée, j'enseigne à la fois aux lycéens et à la fois aux classes prépas. Lundi, première heure, je suis avec ma classe prépa. J'étais alors très concentrée dans le cours que je leur donnais quand soudain on frappe à la porte. Je vois le principal entrer avec à ses côtés, une élève. Et merde ! J'avais complètement oublié que c'était ce matin que la nouvelle élève arrivait !


« – Bonjour madame Martin, je vous présente Analisa votre nouvelle élève de prépa ! Je compte sur tous les élèves présents pour l'accueillir comme il se doit et faire en sorte que son arrivée dans cette classe se passe au mieux pour elle. Merci à tous. »


Toujours avec autant de prestance, le principal s'en alla. J'installa Analisa et repris mon cours. Quand la sonnerie retentie, Analisa resta dans la salle.


« – Oui ? dis-je intriguée
– Vous devez me faire visiter le lycée, me répondit-elle d'un ton sec
– Oh oui, désolée j'avais complètement oublié votre venue, je suis un peu prise au dépourvu.
– Honnêtement, je m'en fou pas mal de visiter le lycée, dit-elle avec un air nonchalant, si vous voulez on peut oublier et je dirais que vous m'avez fait visiter ce merveilleux endroit, ajoute-t-elle avec un ton moqueur.
– Excusez-moi mais nous allons visiter le lycée que vous ne le vouliez ou non.
– Ainsi soit-il ! »

Pour un premier échange, je le trouve très grossier mais je ne veux pas l'accentuer alors je fais comme si Analisa n'avait pas pris un ton sec et méprisant. Je lui fais visiter le lycée comme il se doit, je sens qu'elle n'est pas très attentive. Curieuse et soucieuse, je lui demande pourquoi elle est là. Elle m'apprend que sa mère est décédée récemment et qu'elle a emménagé chez sa tante avec laquelle elle a toujours été plus proche que sa mère. Je lui présente mes condoléances. A la fin de notre visite, je la ramène dans ma salle de classe et lui donner des papiers afin qu'elle rattrape le retard accumulé depuis le début d'année. Puis soudain, dans mon esprit je me rappelle alors qu'un nouvel élève va aussi rejoindre ma classe mais en première cette fois-ci. Pensant qu'il s'agit d'une coïncidence, je souhaite quand même vérifier que ce n'est pas son frère.

« – Analisa, avant que vous partiez, j'ai un nouvel élève aussi en classe de première...
– Ah oui, c'est mon frère, me coupe-t-elle, bon courage !
– Comment ça « bon courage » ?
– Il est en pleine crise d'adolescence et le décès de notre mère n'arrange pas les choses. Il s'appelle Louison, je vous le dis de sorte à ce que vous ne soyez pas choquée où que vous vous demandiez s'il s'agit bien d'un garçon.
– Très bien, encore une fois, mes condoléances.
– A demain, madame Martin.
– Au revoir. »

En si peu de temps,j'avais l'impression d'être lessivée, d'être arrivée au bout de mon énergie.Ces échanges, aussi pauvres qu'ils puissent paraître, étaient chargés d'émotionfines. Analisa dégage une sorte d'aura qui nous sort de nos sentiers battus.Pour la première fois, une élève m'avait déstabilisée.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Jan 14, 2022 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

CharlieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant