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Chloé

Chloé était un bébé minuscule, affaibli par la maladie. Une enfant non déclarée, qui allait devoir apprendre à vivre comme sa mère, entre quatre murs. A cet âge les enfants commencent à esquisser des sourires, imiter les adultes... Chloé n'avait jamais souri. Pourtant Elise faisait tout son possible pour élever, du haut de ses seize ans, sa petite fille... Mais, est-ce qu'un bébé peut être conscient qu'il est né d'un viol?

Tout l'amour qu'Élise apporte à sa fille, où le trouve-t-elle? Je l'admire tellement et pourtant cet amour me glace.

Un enfant, il a besoin d'amour, de liberté et de soleil pour s'épanouir. Elle peut lui offrir son cœur, elle ne peut pas lui offrir la lumière ni un espace pour courir et apprendre la vie.

« Ça, mon petit amour, c'est une fleur. Cette fleur est Jaune.
Ça, mon bébé, c'est un papillon. Regarde comme il est beau ce papillon, regarde comme il est libre!
Ça, ma fille, c'est le soleil. Normalement il est beaucoup plus beau et chaud que des pixels sur un écran, mais c'est tout ce que j'ai à t'offrir.
Ça, mon enfant, c'est ton père. Cet affreux bonhomme qui ne t'a jamais pris dans ses bras ni n'a demandé ton prénom. Ça, ma petite Chloé, c'est notre vie. C'est noir. C'est sombre. Mais l'ombre n'existe que parce que la lumière aussi elle existe mon ange.
Tu sortiras d'ici.
Je te le promets.
Tu verras comment les ailes du papillon scintillent avec les reflets du soleil. Tu verras comme tu aimeras l'odeur de l'herbe fraîche coupée sous tes pieds nus. Ça existe tout ça mon trésor. Ça existe vraiment. J'y ai vécu là bas. J'y ai vécu. »

Moi aussi j'y ai vécu et tout cela semble si loin. Voilà déjà quelques semaines que je suis ici. Les gens à la télé ne parlent plus de moi. Pour l'instant, Jeff n'est jamais venu me rendre visite. Demain, on m'a dit que je commençais un nouveau boulot dans la maison. Mary m'a demandé ce que je savais faire et il s'avère qu'ils ont besoin de quelqu'un en cuisine, Élise m'a dit de faire gaffe parce que c'est un test de confiance.
Au premier faux pas, je suis morte.
Au premier faux pas, je me retrouve dans la salle de torture.
Au premier faux pas, la Compagnie se fera un plaisir de faire du mal à tous ceux que j'aime.
Je compte bien gagner leur confiance. Je compte bien rester un vie.

****
Je ne sais pas où je suis. Plus aucun souvenir des dernières heures. Il fait noir. Voyons. Nous ne sommes pas dans le grenier, il fait bien trop froid. Je suis nue, attachée à une planche et un goût désagréable de sang dans la bouche. Mon souffle et mon coeur s'accélèrent au fur et à mesure que ces informations apparaissent dans ma tête.
Mes yeux d'habituent enfin à l'obscurité. J'aperçois l'homme qui se balance sur un rocking-chair. Il me lance d'une voix roque:

-Alors ma belle. Réveillée ?

J'essaye de me détacher en vain

-Où suis-je?

-Tu ne t'en souviens pas? Mince alors. J'ai dû y aller un peu trop fort. Quoique c'est peut être mieux pour toi, du moment que tu retiens la leçon. Ça t'arrive souvent de piquer dans mes affaires? Voyons ma belle! J'avais enfin confiance en toi, depuis plus de deux mois que tu travailles ici. Que se passe-t-il? Tu as soudain eu des doutes sur la Compagnie ? C'est ça? Et bien j'espère quand même que tu retiendras...

-Qu'avez-vous fait à ma famille! Pitié ne leurs faites pas payer le prix de mes erreurs!

-Nooon, mais non ne t'inquiète pas. Je n'aurais jamais gaspillé mes jokers pour un minable Doliprane ma belle. Maintenant oust! J'veux plus te voir!

Il me détache. Je me surprends à le penser généreux à ce moment précis. Ce qui est biensûr ironique! Il me rend mes habits et me traine jusqu'au grenier où Élise m'accueille en pleurant. Elle me serre comme jamais elle n'a serré personne.

-Je suis désolée, me sanglote-t-elle. Tellement désolée.

Dès qu'elle le peut, sans éveiller les soupçons de son mari, Mary nous rejoint et m'aide à me soigner. Tout se passe dans le silence. Elle ne me demande pas ce qu'il m'a fait. Trop honteuse sans doute. Mais je brise le silence.

-Je... Je crois qu'il m'a violée.

Mary lâche soudainement le linge humide qu'elle applique sur mes blessures puis se met à pleurer à son tour. Cette femme m'émeut plus qu'elle ne devrait. Elle ne parle jamais. Elle n'agit pas non plus. Mais elle nous permet de survivre:

Les jours passent comme les semaines, les mois.. et je n'ai pas le droit de retourner travailler en cuisine. Jeff dit que la confiance ne s'obtient pas en claquant des doigts. Chloé grandit à vue d'œil. Elle aura bientôt cinq mois. Elle gazouille et elle sourit presque. Une heure ici paraît être une éternité. Je regrette presque les cours de maths de Mrs Freezert.

Avez-vous déjà passé une journée enfermé sans lumière devant Netflix en marinant dans la transpiration? Imaginez ça sans la télé et pendant plusieurs mois, tout en sachant que jamais vous ne reverrez votre famille et que vous pouvez vous faire torturer et violer d'une minute à l'autre. Multiplier ce sentiment par trente et vous obtiendrez notre vie quotidienne.

Je ne pense plus à rien. J'ai en permanence envie de vomir. J'ai mal à la tête. J'ai perdu espoir. Je ne pense même plus à Liam. Je ne pense plus à rien. Je meurs petit à petit. Dans mon monde à moi, il n'y a que poussière et désespoir. Les médias se désintéressent de moi et l'enquête ne préoccupe plus personne.

Je regarde l'heure à ma montre. J'invente des choses pour ne pas m'ennuyer, je passe du temps avec Chloé, je lui fais des grimaces. Sa mère est épuisée et elle est de plus en plus malade. Plus que moi.

***
Ce matin, Mary m'annonce que Jeff me laisse de nouveau sortir. Mais cette fois, je devrais garder les enfants. Je ne les ai presque jamais vu. Mary me donne toutes les instructions. Je m'entraîne, il faut que ce soit le plus naturel possible.

« Salut! Moi c'est Thaïs, je suis votre nouvelle baby-sitter, vous voulez jouer? J'ai l'habitude de m'occuper des bébés vu que votre père me séquestre dans un grenier avec une mère et son enfant! Vous voulez faire un cache-cache? Vous voulez jouer à ''Papa et Maman''Ou plutôt ''connard et Maman''? »

Bon.. au pire, j'improvise..
J'arrive devant eux.

-Euh...Salut salut

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