Les pas de la femme se rapprochaient de moi jusqu'à ce que ses bras m'enlacent. Avec le temps, j'avais abandonné toute tentative de rejet. Je la laissais me prendre dans ses bras, passer ses doigts gelés dans mes cheveux, faire ce qu'elle voulait de moi sans trop intervenir. La peau de ses avant bras qui perdait de son élasticité de jours en jours frôlait la mienne.
Cette vision ne mettait que trop en évidence notre écart d'âge.
Écœuré, mes prunelles voulurent se plonger à nouveau dans l'immensité du ciel, mais le soleil avait disparu." Mon cœur ?" Je me crispais.
"Ça fait longtemps que tu es debout ? Le petit déjeuné est prêt tu viens ?"
Elle me rendait ma liberté -momentanément- et avançait vers la cuisine en m'insinuant de la suivre. Je poussais un soupir silencieux. En me tournant, mon regard croisa celui de Jasper, empli d'une confortante compassion. Cet homme, à peine plus âgé que moi, semblait pourtant avoir plus de quarante années de vécu derrière lui. Il était le cuisinier de la maison et l'unique repère de mon monde.
Ayant en mémoire plus de souvenirs de ma mère que j'en eus moi-même, il s'affairait à m'en raconter les bribes. Jamais plus ni moins que ce qu'il pensait supportable pour mon cœur. Ainsi, j'en savais l'essentiel, son décès, ses dettes et moi qui ne trouvais plus ma place dans tout ça qu'auprès de cette dame avec qui je vivais depuis maintenant près de dix ans. Il travaillait avec sérieux et faisait toujours de bons repas. Leur goût m'envoyaient vers une autre époque, devenue si lointaine dans le couloir, sinon le hall, de mes souvenirs. Tout chez cet homme se voulait réconfortant et m'était nécessaire pour supporter ce cadre malsain où je ne tenais qu'involontairement ma place.
Je m'engouffrais dans le vaste appartement. Il y régnait une chaleur latente. Loin d'être agréable, elle n'enlevait rien de son charme à la bise qui soufflait à présent sur la terrasse. Le crème de mon t-shirt ne s'accordait en rien au décor tout fait d'indigo et de gris que l'on retrouvait dans le petit salon où nous prenions le petit déjeuner. Je m'assis en face d'elle. Son regard se fit quelque peu insistant alors je me décidais à prendre ma tasse de thé pour en siroter nonchalamment le contenu. J'y ajoutais un nuage de lait, puis encore un peu, puis bientôt ma tasse ne fut remplie que de lait à peine coloré par le fond de thé encore présent. Je relevais mes yeux vers la femme qui se tenait en face de moi et qui n'avait encore touché à rien. Mon regard oscillait ainsi entre elle, les tasses et Jasper, dont le reflet sur les portes vitrées fila. Je devinais ce dernier se préparant pour rejoindre son petit ami en début d'après-midi.
"- Terence ?
Mon regard se porta une nouvelle fois sur la femme.
-Tu n'as rien de prévu pour ce soir n'est-ce pas ?
Je n'avais pas à parler, la réponse se devant évidement négative.
Il n'était pas rare que je l'accompagne au restaurant ou à diverses sorties lorsque l'envie lui prenait, cela faisait parti de mon travail. N'ayant toujours point dit mot, le silence s'étendait alors que sa question restait en suspend.-Non, biensûr. Tu préfères que je passe ma chemise noire ou bleue pour aller dîner ce soir ?
-Laisse tomber les chemises mon cœur, je ne t'emmène pas au restaurant cette fois."
Elle avait dit ça en quittant la pièce, laissant sa tasse encore fumante et propre de toute trace de rouge à lèvres.
