Soirée mémorable

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C’était un soir d’été, tout ce qu’il y a de plus banal. Une soirée qui s’était éternisée et, de ce fait, un retour à la maison très tardif. Ryan avait un peu bu, c’est vrai, mais il avait tout de même décidé de prendre la route, malgré le danger. Ses amis n’auraient de toute façon pas pu le retenir, tellement ils étaient dans un état lamentable. En vérité ils étaient tous en dehors de la maison et ne s’étaient donc pas rendu compte du départ de Ryan.

Sur le trajet, rien de particulier ne se produisit et il n’aurait pas vraiment pu remarquer grand-chose étant donné sa vision trouble et sa fatigue démesurée. Par ailleurs, il se concentrait sur la route et il faisait bien puisqu’à plusieurs reprises il manqua de peu de percuter un arbre, ou un autre véhicule. Une fois arrivé à son appartement, et après avoir réussi à ouvrir sa porte, il se dirigea en ligne presque droite vers son lit. Sans prendre la peine de se changer ou de s’y installer confortablement, il s’y assoupit en un instant.

Le lendemain, au réveil, ce ne fut cependant pas ses douleurs qui le dérangèrent le plus mais bien l’irruption chez lui d’une demi-douzaine d’hommes. Leur tenue était très stricte et leur visage l’était d’autant plus. Rien ne transparaissait sur leurs émotions mais une chose était certaine : quelque chose de grave et d’important avait eu lieu. Seulement, Ryan était incapable de comprendre quoi et, surtout, il n’avait aucune idée de ce qui avait bien pu mener ces hommes jusque chez lui.

Le pire était certainement le mutisme total que gardaient ceux-ci. Même leurs déplacements étaient silencieux. Pas un seul d’entre eux ne respirait un peu fort ; rien. Si Ryan n’avait pas pu les voir, il n’aurait pu soupçonner leur présence. L’un d’entre eux prit alors les choses en main. Il s’avança vers Ryan et, toujours sans un mot, il lui fit comprendre qu’on devait l’emmener quelque part. L’absence de paroles ne lui permit cependant pas d’en apprendre plus sur ces hommes et sur leurs intentions.

Une seule chose était claire pour lui ; il n’avait pas intérêt à désobéir aux volontés de ces mystérieux personnages. Il les suivit donc jusqu’à leur véhicule. C’était un vieux combi Volkswagen, d’un rouge un peu délavé, mais suffisamment criard pour enlever toute discrétion au convoi. Et cela rassura d’ailleurs un peu Ryan. En effet, il se dit qu’en étant plus visible, il serait plus en sécurité.

Sur la route, il avait essayé de les faire parler. En vain, il tenta plusieurs fois d’engager la conversation, ne serait-ce que pour savoir leur destination. Mais les hommes restèrent muets sur toute la durée du trajet. Plus le temps passait, plus Ryan observait attentivement ses ravisseurs. Il avait déjà remarqué depuis un moment que leurs visages n’étaient pas très expressifs mais ce n’était pas tout. Il n’y avait effectivement pas un seul petit rictus de leur part, rien qui aurait pu trahir un quelconque sentiment. Ils étaient semblables à des automates.

Une fois qu’ils furent arrivés, il ne fallut pas longtemps à Ryan pour reconnaître les lieux. Ils étaient tout près de la maison de son ami, où la fête s’était tenue la veille. Ils s’étaient arrêtés au niveau d’une ferme, et ils étaient donc éloignés de toute civilisation, laissant Ryan seul face à ses ravisseurs. À l’arrière de la grange, on pouvait apercevoir un arbre immense, à l’allure un peu étrange. Derrière encore, les champs s’étendaient à perte de vue et seule la maison brisait l’horizon. Par ailleurs, il était assez amusant de remarquer que la couleur de la grange était similaire à celle du combi. Cependant, bien qu’il eût pu y rentrer, le véhicule resta à l’extérieur du bâtiment et l’on fit signe à Ryan d’en descendre. Ce dernier s’exécuta sans trop se poser de questions ; après tout, il n’avait pas grandement le choix.

Le groupe entra dans la grange et, contre toute attente, il n’y avait rien de particulier à l’intérieur. Certes les animaux n’étaient pas légions mais les anomalies non plus. La seule chose qui piqua la curiosité de Ryan était la présence, vers le centre de la grange, d’un couteau de boucher, aux côtés duquel était placé un ordinateur cathodique. A première vue il n’avait rien à faire ici mais il était néanmoins allumé. Ryan se demandait d’ailleurs comment une telle antiquité pouvait encore fonctionner. Pendant qu’il était perdu dans ses pensées, on l’avait accompagné jusqu’à l’ordinateur. Là il put confirmer le bon état de marche de celui-ci et il put également constater qu’une photo y était affichée. Malgré la qualité d’image très mauvaise, ce qu’il vit sur l'écran lui glaça le sang et, par réflexe, il ferma immédiatement la fenêtre.

Par cette action, il venait de perdre toute chance de comprendre réellement la situation dans laquelle il se trouvait. Oui, l’image l’avait effrayé. Mais il ne l’avait malheureusement pas observé avec suffisamment d’attention pour saisir ce qui en était le sujet. Il avait vaguement aperçu des silhouettes, qu’il pensait pendues à un arbre. Au loin il pensait aussi avoir reconnu la maison de son ami. Mais rien de tout ceci ne faisait de sens. Il ne comprenait pas. Il ne savait pas s’il avait bien vu et il lui était désormais impossible de le vérifier, l’ordinateur s’étant éteint à la fermeture de l’image.

L’un des hommes parla alors pour la première fois, sortant Ryan de sa réflexion. Il lui dit simplement : “C’est fini”. Puis, lui et ses pairs sortirent de la grange. Ryan était plus que déstabilisé. Il ne trouva alors qu’une chose à faire. Il se saisit de son portable et contacta les forces de l’ordre. A leur arrivée, Ryan était à terre, le couteau dans le ventre. Finalement, il avait réussi à comprendre la situation.

L’un des officiers le reconnut. Il l’avait croisé quelques mois auparavant, lors de sa sortie de l’hôpital. Il se disait à son sujet qu’il voyait des figures qui n’existaient que pour lui. Ces “hommes du silence”, comme il les appelait, avaient déjà poussé Ryan à assassiner et pendre sa famille. C’est à la suite de cet événement qu’il fut interné et, avec le temps, les apparitions des “hommes du silence” se firent moins nombreuses et plus discrètes. Faute de place dans l’hôpital et étant considéré moins dangereux que d’autres, on laissa Ryan sortir. Seulement, le soir dernier, les “hommes du silence” revinrent et accomplirent leurs desseins à nouveau, avant que Ryan, tourmenté, ne mît fin à ses jours.

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