J'ai quatorze ans. Bientôt quinze en février. Entre toutes les histoires compliquées, je m'accrochais à l'idée que cette nouvelle année serait plus belle. Mais le mardi 8 janvier 2019... Vers 7h30... Un homme est mort.
Le soir d'avant... Mon ex me menaçait de se suicider pour ne pas que je parte. Il s'amusait à me dire qu'il voulait sauter par la fenêtre ou à m'envoyer des photos de son couteau qu'il s'acharnait à planter dans son oreiller en me disant que la prochaine fois, il espérait se louper et en finir. J'ai décidé que ça ne servait à rien de continuer à lui parler. Il faisait ça pour avoir mon attention et je ne supportais pas qu'on me fasse du chantage. Je suis donc allée me coucher puisque j'étais vraiment fatiguée.
Le lendemain, je me suis réveillée, je me suis habillée, j'ai passé un rapide coup de khôle sous les yeux comme d'habitude et du mascara en sachant que aujourd'hui, je ne pleurerai pas, je me suis coiffée, j'ai mangé un yaourt aux céréales et pris un verre de jus d'orange, je me suis brossée les dents et je suis partie au bus en espérant revoir ma meilleure amie et lui parler de comment il m'avait menacé la veille. J'ai vu le bus arriver, j'ai dit bonjour à Jacky, mon chauffeur et j'ai salué mon amie à côté de qui je m'assois tous les matins et presque tous les soirs quand il y a cours. Il fait nuit puisqu'on est toujours en hiver et qu'il est très tôt. Les petits villages de campagnes défilent devant moi alors que la pluie coulent le long du pare-brise. Je décide de montrer mes messages de la veille à mon amie pour qu'elle me dise ce qu'elle en pense et sûrement pour savoir si j'avais bien fait de l'avoir laissé pour dormir. Puis, d'un coup, on entend un bruit sourd. Le bus fait comme un léger virage avant de se garer. On entend Jacky marmoner quelques injures pendant qu'il se met sur le côté. Le bruit... C'était comme lorsqu'un oiseau cogne contre une voiture, ou un chat... En tout cas, le bus a percuter quelque chose. Et là, je vois. Le pare-brise... La fissure occupait tout le côté droit de la vitre, juste en face de moi. Non, ce n'est pas un oiseau, il n'aurait pas fait cet impact. La fissure n'est pas à la taille d'un chat. On entend Jacky paniquer : "J'crois qu'il est mort". Il descend du bus. On ne sait pas comment réagir. Ce n'est pas réel. Jacky remonte dans le bus et on l'entend répéter la même chose. À la rangée de gauche, juste à côté de moi, une autre amie a peur. Elle se met à pleurer. Jacky redescend avec son téléphone et appelle les secours. Il a trouvé le courage de faire ce qu'il fallait malgré la situation. Je le vois. Il ne dit rien mais il a peur, il est triste, mais surtout perdu. Je me lève et essaie de rassurer mon amie qui pleurait avec mon autre amie qui était assise à côté de moi. Elle a seulement 11ans. Elle veut rentrer chez elle. Elle a mal au ventre. Elle veut être avec ses parents. Je la comprends. À ce moment, je comprends qu'un homme est mort à moins de deux mètres devant moi. Une mort si légère mais si brutale. Quand le bus l'a percuté, on n'a rien senti, comme si ça n'avait été que quelques branches qui auraient touchées simplement le toit du car. Pourtant, le choc était brutale puisque ça l'a tué d'un coup. Je ne peux pas pleurer. Je dois rester forte pour mon amie qui a besoin d'être rassurée par quelqu'un en qui elle a confiance. Je dois rester forte, montrer qu'elle peut aussi arriver à surmonter ça. Je sais qu'à un moment, je pleurerais. Mais pas maintenant. Je m'étais ensuite penchée près de ma place pour voir l'homme. Juste une ombre allongée. Je ne sais pas... Peut-être que j'imaginais qu'il allait se relever, qu'il n'était pas mort...
Jacky remonte de nouveau dans le bus et nous confirme ce qu'il pense. Il est mort. Il nous avoue aussi qu'il le connaissait sûrement. Il se rappelait avoir conduit sa fille à l'école quand elle était petite. Il s'approche ensuite de mon amie pour tenter de la consoler. "Ça va aller ma puce. Tu peux appeler tes parents si tu veux. Ça va aller." Au début, je ne sais pas comment le regarder ni quoi penser de lui. Mais il faisait nuit, il pleuvait et l'homme a traversé bien après le passage piéton. Il était impossible à voir. En voyant dans les yeux de Jacky, je voyais qu'il était vraiment perdu. Il a vu ce qu'il s'est passé au moment du choc. Il n'a pas pu le contourner à temps, je n'imagine pas dans quel état il doit être maintenant. Je me suis rappelée tous les moments qu'on a passé ensemble. Tous ces moments de rigolades. J'ai reconnu mon ami, lui aussi avait besoin de soutient. Ce n'était pas de sa faute. Je lui ai serrée affectueusement l'épaule en lui demandant comment il allait. Il m'a répondu qu'il ne se sentait vraiment pas bien. Mais je n'ai pas eu le temps d'en dire plus. Il a demandé la veste d'un des garçons du bus pour se protéger de la pluie et de ressortir. Avec mon amie qui était assise à côté de moi, on a appelé le collège pour prévenir qu'on avait eu un accident et que les élèves du bus auraient du retard. Un autre bus devait faire demi-tour pour nous prendre en charge. Je me suis remise debout pour consoler mon autre amie qui me répétait de ne pas la laisser et qu'elle avait mal au ventre. Je pose ma main sur son genou en essayant de la calmer. Je vois la lumière des gyrophares qui clignotent à travers la fenêtre en face de moi alors que je regarde ma petite sur qui ne savait pas comment réagir. Les camions de pompier, les ambulanciers et les gendarmes sont arrivés. Je me rappelle ce qu'avait dit Jacky... "Je pense que vous ne me reverrez pas avant un moment...".
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Accident
Non-FictionJ'ai été témoin d'un accident très violent... Assise à la première place pour voir la vie s'arrêter d'un coup devant moi... Ça tourne en boucle dans ma tête... J'ai besoin de trouver des mots à ce que je ressens, à ce qu'il s'est passé... Alors voic...