Communauté

Aujourd'hui était le moment que j'attendais depuis ma naissance. J'étais tellement impatiente que j'arrivais à peine à rester immobile sur ma chaise. C'était un supplice de rester assise dans cette salle d'attente silencieuse. Je patientais ici depuis des heures à regarder la même affiche publicitaire. Elle représentait une parfaite famille heureuse. La mère et le père serrait dans leurs bras leurs deux jeunes enfants en souriant bêtement. En bas de l'affiche, il avait le slogan habituel de la Communauté: « La Communauté veille sur vous ». En soupirant d'impatience, je réalisais que j'aurais dix-huit ans dans quatre heures et vingt-sept minutes. Dans quelques minutes, je passerais enfin le Test. Le Test était un examen qu'on passait à notre dix-huitième anniversaire. Personne ne savait en quoi ça consistait. Tout ce qu'on savait, c'était qu'après cette épreuve, notre avenir nous sera dévoilé.

Le monde d'avant était différent. Il y a eu Les Grandes Guerres en 2089 et tout a radicalement changé. L'Humanité a presque été totalement anéanti par lui-même. Les radiations des armes interdites qu'utilisait autrefois l'espèce humaine ont rendu la majorité des terres infertiles et des grandes régions inhabitables. L'eau a été polluée par d'autres armes chimiques et des produits nocifs dont plus personne ne connait maintenant leur utilité. Les générations antérieures ont abusé de la terre au profit de leurs propres désirs extravagants. Maintenant, il ne reste presque plus rien de notre planète. Derrière l'immense clôture de béton qui encerclait la ville, il ne restait rien d'autre qu'une catastrophe monumentale et des ruines. La sauvegarde de notre territoire était un véritable miracle en soi. Pour survivre, un regroupement d'humains survivants s'est rassemblés pour protéger notre espèce de l'extinction et de l'empêcher de refaire les mêmes erreurs du passé. C'est alors que la Communauté s'est créée. La Communauté est notre société. Elle a pour fonction d'optimiser notre fonctionnement pour améliorer notre survie et le bien-être de tous ces habitants. Les ressources étaient très limitées, il fallait donc que le potentiel de chacun soit utilisé à sa juste valeur. Chacun avait sa place selon ces compétences. On ne gaspillait rien ni même le temps.

Comment elle fait? Elle supervise absolument tout. Le Test est censé nous annoncé notre scolarité, notre futur emploi, notre compagnon de vie et notre rôle social. Tout était contrôlé dans les moindres détails, surtout les naissances. On s'assurait tout simplement que les générations précédentes puissent naître avec les meilleurs gènes possibles. Un enfant né en dehors de ces règles serait une dépense de ressources non nécessaire et mènera en péril notre mode de vie. Il serait considéré comme un parasite et bannis à survivre seul en dehors des murs. La loi de l'évolution éliminait les plus faibles et personne ne voulait que la Communauté disparaisse. Personne ne voulait mourir. La Communauté nous assurait un bonheur et une prospérité qui ne pouvait pas être refusée. C'était d'ailleurs la seule option disponible. 

Notre système de préconisait une pensée logique et objective. Les émotions comme l'amour, la colère et la jalousie étaient déconseillées vu qu'ils empêchaient les gens de penser avec intelligence. Il avait alimenté les désirs démentiels des anciens humains et causé leur perte. Nous avions le devoir de ne pas répéter les mêmes erreurs que ces derniers. Sans ces émotions, il n'aurait pas eu tant de guerres et ils ne seraient pas entretués pour des choses abstraites comme la culture. L'amour blesse. L'amour fait mal. L'amour provoque la colère, la vengeance et la jalousie. Sans l'objectivité, l'être humain fait des choix stupides. C'est pour ça qu'il ne fallait pas en faire.

-Ça fait deux heures qu'on attend, ronchonna Edna. Il pourrait essayer d'aller plus vite. Je n'ai pas toute la journée.

À côté de moi, ma tante Edna regarda impatiemment sa montre turquoise. Cheveux bruns coiffés en chignon et tailleur bleu marin, elle travaillait comme secrétaire. Ma tante incarnait la rigueur et la sobriété. Elle ne laissait paraître aucune inquiétude, aucune impatience ou aucune émotion. Jamais je n'avais vu ses yeux marron s'illuminer d'une quelconque façon. Jamais je n'avais aperçu un germe d'émotion excepté lorsqu'elle a appris que sa fille aînée, la merveilleuse Katarina, allait marier un beau futur ingénieur d'une richissime famille. C'était tellement important pour elle que sa fille préférée réussisse. Katarina était la fierté de la famille. Quant à moi, je restais en silence. Je ne voulais pas troubler le silence solennel de la salle d'attente. On aurait entendu un insecte volé. Seule la voix aigre de la secrétaire transgressait le silence :