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Ce chapitre comporte des scènes de violence.

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Les petites embarcations glissaient silencieusement sur l'eau, dont la teinte était l'exact reflet de celle du ciel. À gauche, le nord de Staten Island et ses terres noires et désertiques, à droite Brooklyn et la Belt Parkway qu'ils avaient empruntée si souvent. Au-dessus de leurs têtes le pont, ce fameux pont qu'ils avaient tant traversé et qui leur en avait fait voir de toutes les couleurs. Malgré ce qu'ils en avaient pensé, ce pont n'avait jamais cédé, il était encore debout et semblait dominer la ville, vu d'en bas.

Ils passèrent sous l'immense structure et se dirigèrent vers la droite en direction de Manhattan, tout en longeant Brooklyn. Ils chercheraient un endroit sûr où accoster et continueraient à pied. Lorsqu'ils arrivèrent aux abords de l'ancien port, laissé à l'abandon depuis de trop nombreuses années, leurs yeux s'écarquillèrent en découvrant le paysage dévasté qui apparaissait devant eux.

Les gratte-ciels autrefois signes de richesse et de réussite étaient en feu, les flammes se confondaient avec le ciel encore teinté d'ocre. Des explosions se faisaient entendre, de la fumée s'échappait des habitations, des détonations retentissaient de partout.

Les petits bateaux passèrent aux abords de Governors Island et se dirigèrent vers le port pour s'arrêter enfin. Ils n'auraient plus que quelques centaines de mètres à parcourir à pied avant d'arriver au pont de Brooklyn qui les mèneraient directement à Manhattan.

— Ça va, pas trop fatigué ? demanda Jane à Orry en posant les pieds sur la terre ferme.

— Non ça va, et toi ?

— Un peu, mais au moins maintenant j'ai des muscles, rit la jeune femme.

Orry secoua la tête en souriant, mais une nouvelle explosion leur fit lever la tête et froncer les sourcils.

— Ça doit ressembler à ça, la guerre, murmura Maggie en les rejoignant.

— Oui... ou c'est peut-être pire, répondit Orry dans un souffle.

Il prit la main de Jane dans la sienne et l'entraîna vers leurs compagnons qui débarquaient également, les uns après les autres. Une fois tous réunis, ils se mirent en route, en prenant les petites rues, longeant les murs des bâtiments et courbant le dos, pour se faire plus petits qu'ils n'étaient.

Plus ils avançaient, plus les bruits étaient forts et effrayants. Lorsqu'ils arrivèrent devant le pont de Brooklyn, ils n'étaient plus seuls du tout. Une foule massive traversait l'édifice, dans les deux sens, allant et venant d'un arrondissement à l'autre, de la pauvreté à la richesse déchue, comme libérée. Comme si un mur avait été détruit, laissant les habitants de la ville, libres de circuler comme ils le souhaitaient. Certains courraient, d'autres marchaient, certains étaient blessés, d'autres semblaient en meilleure santé. Certains étaient armés et paraissaient en vouloir à la terre entière alors que d'autres ressemblaient à des âmes perdues.

Orry passa son bras autour de la taille de Jane pour la rapprocher de lui et il l'entraîna avec lui, serrant son pistolet dans son autre main, suivi de leurs amis.

Ils remontèrent le pont en courant, suivant des groupes de personnes qui criaient, ne quittant pas des yeux leur but. Le désastre qui se dessinait devant eux les excitait mais les effrayait également. Dans quoi étaient-ils en train de se lancer ?

Ils continuèrent de suivre le mouvement, même une fois au milieu du chaos, ils allaient là où l'action se déroulait. Les rues défilaient sous leur pas, une sorte d'urgence les poussait à aller plus vite, comme tous ceux qui avaient envahi les rues avant eux. Ils remontèrent plus vers le nord en regardant, impuissants, les immeubles brûler, les gens se battre, les pillards commettre leurs méfaits. Partout dans les rues des corps, vêtus des uniformes typiques de la milice, gisaient sur le sol. Quelques-uns encore pris des derniers soubresauts avant que la mort les emporte, d'autres déjà immobiles. Ces hommes avaient été les premières victimes de cette révolution spontanée, proies de nouveaux barbares qu'ils avaient eux-mêmes crée, au fil des années d'avilissement, d'humiliation et de cruauté. Jane laissa glisser ses yeux sur ces êtres agonisants, ne pouvant chasser de ses pensées les corps de ses amis tués par un Ward qui devait, lui aussi, avoir subi des souffrances qu'elle ne souhaitait imaginer.

Le chant des oiseauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant