où t'étais ? ( partie 1)

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J'avais sept ou huit ans, peut être moins , j'entendais déjà à travers l'appartement de mes parents la voix de mon père ou de ma mère résonner à mes oreilles   :
       '' Leila !  Mets la table  ! Leila, occupe toi de ton frère ! Leila, fais la vaisselle !  Leila, reste ici  !  Qu'est ce que tu fais ? Viens ici ne sors pas, range la chambre. A quelle heure tu rentres de l'école ?  Enlève tes affaires de là, aide ta mère, ne parle pas à cette fille, avec qui tu étais ?´´
Ordres et interdictions se plantaient dans ma cervelle comme des épingles. Je ne m'appartenais pas, j'étais l'objet de la famille , elle me téléguidait.
En me regardant dans la glace , je ne voyais personne. J'étais née, j'existais avec un corps ,et une tête, des yeux pour voir , et un coeur pour ressentir les choses et je ne pouvais pas m'en servir. On m'éduquait selon la tradition marocaine en plein coeur de la France, je ne pouvais respirer qu'en mettant les pieds à l'école. En classe , j'existais, j'étais un individu à part entière mon intelligence pouvait se nourrir de savoir utile. A la récréation j'avais la permission de courir et de rire comme les autres. J'adorais l'école. Mais dès que j'en sortais, sur le chemin du retour à la maison je n'étais déjà plus rien.

Je suis fille unique d'une tribu de garçons. Chaque fois que ma mère était enceinte j'espérais de toutes mes forces dans le couloir de la clinique, j'attendais la délivrance qui dirait :  C'est une fille ! Mais le rituel ne changeait jamais. Deux frères aînés puis un autre et encore un autre jusqu'à dix. Lorsque enfin ma petite soeur Sirinne est arrivée j'avais déjà seize ans.
A l'âge de six ans , je me suis mise à hurler réellement ce désespoir de ne jamais voir arrived dans les bras de ma mère un être qui me ressemble. Il me semblait que ce déferlement de garçons issu du corps de ma mère était une punition personnelle et pourquoi pas que ma propre naissance au milieu d'eux en était une encore plus grave.
Ali et Brahim, Karim et Miloud, Mohammad et Hassan, Mansour et Slimane, Idriss et Rachid.... Ma mère accouchait pratiquement tous les ans , ainsi les acteurs de mon existence défilaient l'un après l'autre comme sur le générique d'un film et je demeurais seule invisible à l'écran , mais chargée de toutes les corvées.  Je jalousais mes copines d'école à la sortie :  leurs mères venaient les chercher, les embrasser, il me semblait qu'elles comptaient énormément à leurs yeux. Ma mère avec sa tribu d'enfants faisait un travail à la chaîne. Sa vie était un esclavage total.
Très tôt, j'étais donc supposée l'aider à la maison, mais je refusais insolemment d'être l'esclave de mes dix frères. Ma mère me tapait dessus lorsque je ne faisais rien ou presque de ce qu'elle désirait.  A l'époque de ma naissance il y a environ vingt cinq ans, notre quartier ne comptait encore que très peu de familles maghrébines. Au fur et à mesure des naissances, ma mère s'est retrouvée enfermée dans un F5 à peine suffisant pour y entasser onze enfants.  Mon père se chargeait de tout à l'extérieur, ramenait les provisions et son salaire d'ouvrier y passait tout entier. Il n'était pas questions de contrôle de naissance à l'époque et le mot Pilule était inconnu , Dieu lui envoyait des fils. Je me suis demandé plus tard si le fait que mon père spit orphelin n'était pas la raison de cette procréation acharnée.
Au début de Sa vie en France, ma mère ne voyait passer la vie que par la fenêtre, ne sortait que pour accoucher ou dans le sillage de mon père avec sa multitude de garçons derrière elle. J'étais cloîtrée comme elle. En grandissant ils ont eu le droit de courir dehors sans chaperon, pas moi. Si les copines du quartier venaient me chercher pour Hoyer en bas de l'immeuble, je répondais :  il faut que je demande à mon père, mais il ne voudra pas. Allez lui demander peut être qu'il vous dira oui mais à moi il dira non...
Et effectivement la réponse était toujours la même :  tu veux prendre de l'air ?  Tu restes sur le balcon !
C'était une injustice. Je me revois encore sur ce balcon condamnée à regarder les autres filles jouer , prisonnière de je ne sais quelle loi.  Quel danger y avait il à prendre l'air en bas ? 
Peu à peu le quartier avait accueille d'autres familles maghrébines. A l'école nous étions mélangées avec les Françaises d'origine tout ce petit monde vivait en harmonie ma meilleure copine Souria jouait à l'élastique avec les autres. Farida , Joséphine, Sylvie, Malika...Alia ou Charlotte s'amusaient en bas de l'immeuble sans moi.  Pourquoi ???
Mon père a élevé tous ses enfants de façon à ce qu'ils le craignent absolument. Lorsqu'il nous interrogeait, si l'un de nous avait le malheur de le regarder dans les yeux, il prenait d'abord une claque. Tu baisses les yeux.
Jamais un mot de tendresse encore moins un geste sécurisant. Ce style éducatif m'a complètement braquée dès la petite enfance. Je me souviens d'un voyage organisé en classe de neige en CM2, c'était non pour moi dès le départ. L'instituteur est allé voir père et à insisté gentiment : votre fille ne risque rien , les filles sont d'un côté et les garçons de l'autre...
Mais c'était non. Le problème était que même séparée des garçons mon Pete craignait le mélange toujours possible loin de sa surveillance. Or à dix ans on est complètement innocent. Je n'imaginais rien de répréhensible à côtoyer des garçons.
A la maison je dormais dans la même chambre qu'une tribu de garçons...et ça be gênait pas mon père ! Moi si. Il ignorait royalement que le danger me guettait dans sa propre maison.
J'étais puni d'un péché mystérieux, j'étais nulle , lâche, bonne à jeter à la poubelle. Alors je me suis efforcée d'ensevelir cette maudite histoire dans ma cervelle.  J'ai zappé.  Je n'avais pas d'autres solutions.
C'est ainsi que je suis devenue agressive, révoltée, instable , malade de ce silence imposé, de cette prison où seule l'autorité paternelle avait droit de parole et les garçons toujours raison.
C'est ainsi que je m'étais juré de réussir à l'école, d'avoir un métier, de ne me marier que si je le décidais un jour mais le plus tard possible et surtout de ne pas elever une tribu d'enfants. Encore fallait-il rencontrer celui qui trouverait grâce à mes yeux , à qui je n'aurais pas envie de faire payer mon enfance.




Cc à toutes !!!  Je tiens à préciser que cette histoire est réelle bien qu'elle ne soit pas de moi.
C'est une histoire tirée d'un recueil d'histoires vécues. Et cette histoire particulièrement m'a beaucoup touchée alors j'ai voulu la partagée avec vous.
C'est la première fois que j'écris et j'espère lire vos commentaires et critiques.
Surtout n'oubliez pas de voter !!!

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⏰ Dernière mise à jour : Feb 08, 2019 ⏰

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Leila mariée de forceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant