Des pas dans la neige

5 1 0
                                    

La nuit est glaciale, la lune est encore haute, à-moitié masquée par les nuages, sa faible lueur éclaire un désert blanc. La neige recouvre tout, aucunes traces de pas. Le vent du Nord qui souffle depuis plusieurs jours agite les arbres, les font paraître vivants, menaçants squelettes de bois dessinant des ombres donnant l'impression de traquer le moindre être vivant osant s'aventurer trop près.

Par ce temps et à ces heures, il sait que personne ne viendra lui poser de questions, personnes n'essayera de le convaincre de rester encore un jour. A cet instant, il est seul et c'est mieux comme-ça.

Doucement, sans gestes brusques, il termine de rassembler ces affaires. Toute sa vie tiens dans un solide sac à dos. Quelques babioles trouvées ça et là, des habits de rechange, son nécessaire d'écriture, une blague à tabac, sa pipe, une outre de bière brune et enfin la lourde et solide armure de plaque, celle qui faisait sa fierté de forgeron. Un tour de passe-passe d'une enchanteresse rencontré des années auparavant permettait au sac de toujours rester léger et compact malgré la grande quantité d'objets.

Il connait bien la maison depuis le temps, pas besoin d'allumer une bougie ou de craquer une allumette. Tout le monde dort, personne ne viendra lui poser de questions et c'est mieux comme-ça...il le sait.

Certains ne comprendront pas, d'autres s'en ficheront et tourneront la page. Mais pour lui, peu importe les considérations de ceux qui étaient ces compagnons. Il les apprécie tous, pour leurs qualités comme pour leurs défauts. Les râleurs, les rieurs, les buveurs, les donneurs de leçons, ceux qui savent et ceux qui suivent...

Peu importe les considérations de ceux qui étaient ces compagnons, car il sait que le moment est venu. Il se sent fatigué, à bout, il a été de toutes les batailles, de tous les coups. Il a offert plus que son bouclier au fil des ans et son corps meurtri demande du repos.

Il sait où poser les pieds sur les marches du grand escalier pour éviter les grincements, déjà la dernière marche est devant lui, à l'autre bout du couloir, la porte d'entrée.

Dans le grand salon, le feu de cheminée est éteint, quelques restes de buches crépitent en finissant de se consumer. Il se dirige vers le grande table qui a vu tellement de discussions, tellement de fou rires, qui a vu la vie au sein de l'ordre. La main tremblotante, il attrape son sac et en sort une besace pleine de pièces d'or, son écusson de gardien ainsi qu'un parchemin adressé à ces compagnons. Les pièces d'or permettront à ceux qui sont devenus ses amis de vivre à l'abri du besoin un bon moment et le parchemin fournira quelques explications ainsi que ses adieux, rédigés de son écriture la plus fine et la plus élégante.

De retour dans le couloir, il fixe un moment l'escalier, espérant peut-être voir surgir une silhouette gracieuse et familière, suivie comme son ombre par une forme féline. Mais il sait que ce voyage, il le fera seul cette fois, une dernière fois. Sans regrets, un petit pincement au cœur lui faisant juste lâcher un soupir, il se retourne vers la porte. Il enfile son gros pull en laine, une paire de gants en cuir. Quelques pas de plus, la main sur la poignée, il chuchote un dernier "Au r'voir". La porte s'ouvre, le vent s'engouffre et quelques flocons de neige viennent mourir devant ses pieds.

Sans un mot, il franchit le pas de porte. Le froid mordant lui gifle le visage, il lève les yeux au ciel et distingue à-peine les étoiles. C'est une belle nuit, reflétant bien son état d'âme. Le Nord et ses tourments l'appellent, le voyage sera long jusqu'à retrouver ce continent qu'il a tant aimé...et tant détesté...

Il s'enfonce doucement dans la pénombre, son sac sur une épaule, la neige crisse sous ses pas. Au bout de la ruelle, un animal se retourne, faisant tinter les quelques clochettes accrochées à son licol, douce musique apportant un peu de gaieté aux hurlements plaintifs du vent.

Il a rejoint la bête, passe une main sur son museau et attrape la courte longe. Un dernier rapide coup d'œil sur la demeure, quelques pas de plus et les voilà disparus dans la pénombre.

La nuit est glaciale, la lune est encore haute, le vent du Nord qui souffle depuis plusieurs jours fini doucement de faire disparaître les traces de bottes.

Mon ImaginariumWhere stories live. Discover now