Lettre perdue

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Bienvenu(e) à celui ou celle qui lit ceci. Sachez qu'une fois le premier paragraphe achevé, il vous faudra lire jusqu'à la dernière ligne, pour votre bien et celui de toute autre personne susceptible de vivre ce que j'ai vécu.
Voilà, maintenant que j'ai votre attention je vous prie de me croire, même si ce qui sera dit dans ce récit peut vous paraitre tiré d'un esprit rongé par la folie.
Tout commença en mai 2005, j'avais entendu parler d'une légende urbaine au sein d'un petit village méconnu au coeur du Canada. Une créature mythique tout droit sortie des contes amérindiens régnait en maître dans une forêt réputée pour ses nombreuses disparitions. La légende voulait que cette bête en soit directement la cause, que par ses ruses elle détournait les voyageurs du sentier pour les emmener dans son antre. Je n'étais qu'une adolescente au moment où j'ai découvert cette histoire, je pense que c'est elle qui m'a poussée à autant m'intéresser aux mythes et légendes partout dans le monde. Ce n'est que dix ans plus tard que je me décidai enfin à me rendre dans ce petit village.
C'était un lieu d'apparence charmante, je me rappelle être passée par un village similaire quand j'étais plus jeune avec ma mère. On avait coupé par un sentier dans la forêt, ce qui devait nous faire économiser au moins une heure de trajet pour nous rendre chez ma tante.. Mais cela est sans importance.
Cette fois j'y étais venue avec mon fiancé, et comme moi il eut cette étrange sensation qu'une ombre oppressante surveillait chaque personne pénétrant dans ce petit hameau loin de tout. À cet instant, nous savions déjà que dans le jeu du chasseur et la proie on ne tiendrait pas le bon rôle. Malgré tout, nous avons poursuivi notre enquête, prenant le plus d'information possible auprès des villageois. La plupart refusaient de répondre, les autres restaient vagues, comme si trop en dire leur attirerait Son courroux. Nous étions venus pour écrire notre premier roman, on ne pouvait pas partir les mains vides, alors nous avons persisté dans cette aventure, dans cette folie, faisant fi de tous les risques.
Au final, nous n'apprîmes rien de plus que ce dont nous avions déjà connaissance. Trois jours plus tard, nous nous sommes décidés à aller dans ce village de l'autre côté de la forêt, dans l'espoir d'en apprendre plus, mais pour cela nous devions la traverser en empruntant ce fameux sentier. Une peur irrationnelle m'avait enserré le coeur rien qu'à cette idée, des images terribles me passaient par la tête. Mon fiancé tenta de me rassurer, sans succès.
Au cinquième jour, nous avions déjà bien avancé sur le chemin de terre. L'ambiance de ces bois était apaisante, au point de nous faire oublier la raison de notre présence. Ma peur s'était envolée, nous avancions sans plus nous soucier de la direction, notre esprit était plongé dans un brouillard dense, nous voyions comme à travers un filtre dont le seul but était d'enjoliver la réalité. Mais tout à une fin.
Je marchais en tête, je savais mon compagnon non loin, il se promenait à son aise en admirant la beauté de la nature. Le connaissant, je ne m'inquiétais pas de son silence à mes bavardages, il se plongeait si facilement dans ses pensées.. Ce n'est que lorsque je remarquai la soudaine obscurité que je commençai seulement à reprendre mes esprits et que je me rendis compte de l'endroit où je me situais.
La forêt encore luxuriante il y a quelques instants avait laissé place à de hauts arbres au feuillage aussi dense que sombre, seules les branches les plus basses se trouvaient mises à nues. Un vent glacé se leva sans crier gare, faisant craquer l'écorce, bruisser la végétation, des grognements et autres grincements s'élevaient ici et là des buissons ainsi que de leurs ombres.
Paniquée et tremblante, je criais le nom de mon fiancé dans l'espoir de le retrouver, mais même s'il s'était trouvé à deux pas de moi je n'aurais pu le voir. Alors je criai plus fort, avançant à tâtons dans cet amas de noirceur, plusieurs fois je me pris les pieds dans quelques obstacles au sol, et plus de fois encore je percutai un tronc.
J'ignore combien de temps s'est écoulé entre l'instant où j'ai emprunté le sentier et le moment où ma torpeur a pris naissance ou même fin. Tout ce que je savais se résumait au fait que je n'avais plus aucun contrôle sur la suite des évènements, si tant est que j'en aie eu auparavant, et que cela me terrifiait plus que de raison. J'imagine que je n'ai pas besoin de vous préciser à quel point mon nouvel environnement n'arrangeait en rien mon sentiment..
Des heures ou de simples minutes se sont écoulées ainsi. Je progressais à grand-peine tandis que les températures chutaient toujours plus. L'hiver, en une poignée de secondes, avait pris place de souverain dans ces bois. Enfin, j'arrivai dans une clairière éclairée par la lune, il n'y avait rien alentour si ce n'est les restes de ce qui devait être une cabane de chasseur en son centre. C'est sans hésitation que je m'y élançai, si mon compagnon était quelque part ce devait forcément être là. Et pour mon malheur, je ne m'étais pas trompée..
Quand j'arrivai enfin à la carcasse, je remarquai tout de suite l'état déplorable des lieux. Lorsque j'étais à l'orée de la forêt, je ne pouvais pas voir clairement la petite bâtisse, mais maintenant je pouvais constater qu'un violent incendie devait l'avoir ravagée il y a longtemps et que depuis on avait cherché à la reconstruire sans jamais achever le travail.
Je ressentis une certaine appréhension devant la porte, que pouvait-il m'attendre à l'intérieur après tout ? Plusieurs minutes s'écoulèrent devant mon indécision, au fond de moi une minuscule voix m'intimait de faire demi-tour, de ne pas repousser cette porte branlante. Mais le choix ne m'appartenait pas. Une violente bourrasque fit tomber la mince planche de bois, étalant devant moi une scène macabre.
Du sang maculait les murs, le sol, le plafond, il n'y avait que ça partout. Et au centre de l'unique pièce dévastée se trouvaient les restes de mon compagnon.. Son corps avait été mis en charpie, au point tel que ce n'était plus qu'un amas de chair.. D'aucuns auraient eu du mal à y reconnaître un être humain..
Révulsée par ce que je venais de voir, je pris la fuite de ce lieu de cauchemar. Je courus à travers ces bois maudits jusqu'à ce que je trébuche sur une racine apparente et m'écroule de tout mon long sur le sol humide. Je restai ainsi immobile, les poumons en feu, durant de longues heures interminables. Mes larmes coulaient sans retenue sur mes joues égratignées.
Le choc s'effaça lentement pour laisser place à une immense fatigue. C'est le froid glacial et une odeur putride qui me tirèrent de ce sommeil sans rêves. J'étais engourdie, je ne pouvais presque plus bouger tant mes muscles étaient douloureux. Notre première rencontre eut lieu à ce moment précis. Cette monstruosité à l'apparence décharnée était là, devant moi, sa gueule et ses "mains" encore recouvertes de sang. Il me fixait de son regard vide, Il ne faisait rien pour approcher, Il se contentait de m'observer. Je m'étais relevée lentement, évitant soigneusement tout geste brusque, un peu comme si j'étais face à un quelconque animal sauvage. Et là, je fis ma seconde erreur.
Je lui tournai le dos et me suis mise à courir aussi vite que je le pouvais, mais après une nuit dans le froid doublée de ma course de la veille je ne pouvais pas m'attendre à un miracle. Il me rattrapa sans mal, je ne tardai pas à sentir son souffle de mort sur ma nuque. Un violent coup me déchira les côtes, me projetant comme une vulgaire poupée de chiffon contre un arbre. Je crus sincèrement à cet instant que tout mon corps s'était brisé tant le choc avait été brutal. Je sentis tout l'air quitter mes poumons et mon coeur manqua même de s'arrêter.. Mais contre toute attente je trouvai la force de me redresser sur mon séant malgré la douleur qui irradiait tout mon être. Je fixai alors mon regard dans celui de la bête. Cette horreur.. Il me regardait de ses orbites sombres.. Son haleine fétide me donnait la nausée tant elle était forte.. Il esquissa un pas vers moi quand un craquement le stoppa net. L'abomination renifla l'air un instant avant de s'en aller dans un grondement à vous glacer le sang. Peu après, des cris s'élevèrent dans les bois. Encore aujourd'hui je ne saurais dire si c'était des hurlements humains ou non.
Sans perdre de temps, je rassemblai mes dernières forces pour reprendre ma fuite. C'est donc clopin-clopant que j'arrivai à nouveau dans cette clairière. Cette fois j'entrai sans hésitation dans la cabane, je ne voyais alors plus le carnage, j'étais trop épuisée pour faire attention à ce qui m'entourait. Je me laissai tomber dans un coin de la pièce, attendant la mort. En vain.
Mais vous vous demandez sûrement à quoi tout ceci peut vous aider, je me trompe ? La réponse est simple : à rien. Voilà la triste réalité.
Vous vous dites sûrement qu'il suffit de ne pas venir dans la forêt, que si on ne se montre pas curieux on ne risque rien.. Vous êtes si naïf. Le monde ne fonctionne pas de façon aussi simple.
Il y a une chose que je ne vous ai pas encore dite. Cette bête a un grand pouvoir, elle peut prendre possession des esprits à travers un simple rêve d'apparence innocente. Dans ce rêve, nous faisons face à une forêt luxuriante, semblable à celle que nous avons traversée avant que le cauchemar commence. Une enfant nous fait alors face. Près d'elle une jeune femme observe en silence, ses yeux reflétant une immense tristesse. La petite fille nous demande d'être son ami(e) en tendant la main vers nous, un sourire rayonnant sur son visage d'ange. Mais si on a le malheur d'accepter son invitation, Il apparait. Et là, il sera trop tard pour Lui échapper. Il bondira sur nous, nous empalant de ses griffes semblables à des serres de rapace.. C'est ainsi qu'Il procède pour nous capturer, pour prendre vicieusement possession de nous. Peu à peu nous devenons sa marionnette, tous nos choix sont dictés par Sa volonté. Je m'en rends compte aujourd'hui, rien de ce que j'ai écrit plus haut n'était dû au hasard, Il avait un total contrôle sur tout. Même ma venue dans ce village était de Son fait.. Comme je regrette amèrement cette première erreur qui est d'avoir accepté l'enfant..
Sans doute est-il trop tard pour vous si vous lisez ces lignes, mais je vous en conjure, si vous n'avez pas encore fait ce rêve, prévenez vos proches, personne ne doit accepter ! Jamais ! Faites votre possible pour vous réveiller, pour fuir ce songe comme la peste ! Dans le cas contraire, Il vous forcera à commettre un acte immonde, un acte si horrible qu'il vous fera basculer dans son monde définitivement.
Il n'a pas laissé le cadavre ici pour rien.. Je n'ai rien pour me nourrir ici.. Je peux entendre Sa voix dans ma tête qui me pousse à le faire, j'ignore combien de temps je vais pouvoir résister.. Je prie pour mourir avant.

Où le Commencement prend FinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant