Mlle Eloquence

Je m'en souviendrais toute ma vie. Je marchais dans la rue quand je l'ai rencontré. On a parlé un instant. Puis avant de partir elle a glissé une carte dans le creux de ma main : un nom était écrit en lettres d'or : « Mme Eloquence. ». Cette femme, j'ai tenu à vous en parler. Pour que vous puissiez la rencontrer, à votre tour, à travers ces quelques vers...

Cette femme est une marchande. Elle vend des rêves comme elle pourrait vendre des fruits. Mais loin de vendre des poires, ce qu'elle vend elle, c'est l'espoir.

Cette dame n'a qu'une parole, agricultrice de l'âme, elle sème la confiance.

Sur les sillons de son parler, elle capte les rayons de la lumière. Faisant fleurir l'esprit des gens et germer des idées claires.

Lorsque vous discutez avec elle, ne perdez pas le fil de la conversation, car fille de pêcheur, elle embobine les frêles argumentations.

Agent du bâtiment, elle construit... des discours ; agent d'entretien, elle balaye... les arguments.

Non pas les yeux mais la bouche revolver. Si au détour d'une parole elle vous laisse le choix, prenez garde. Si la balle est dans votre camp, c'est que l'arme est de son côté.

Sa voix nous déroute, ses mots nous mentent. On ne peut jamais croiser son regard, juste être à son écoute.

Comme dans un couple, son existence est marquée par des hauts et des bas ; et ce n'est que dans les hauts qu'il n'y a pas de débats. Parfois à deux doigts de craquer et de laisser place aux injures, elle se dresse face aux courbatures de son discours et étire son propos, grande sportive qu'elle est.

Cette dame a un fort beau visage, d'autre diront une figure de style. Lorsqu'elle parle... qu'elle rompt le lien qui unis ses lèvres, c'est comme si un marin, larguait les amarres, sur le bord du quai de seine. On est alors emporté, par les flots de sa pensée, dans un voyage à l'autre bout de la terre, un tour du monde en voilier. Et... à la façon d'une carte postale, au retour descendant du trois mâts, vous vous verrez marqué par le timbre de sa voix. Timbrés... mais loin d'avoir perdu la raison.

Source de vie, les gens boivent ses paroles. Non pas pirate des caraïbes, mais fontaine de jouvence.

Parfois j'essaye de l'imiter, mais c'est avec précaution, et même si je ne suis pas alcoolique, c'est toujours avec une grande pression. Je me dis que je dois être à la hauteur, alors je choisis les bons mots, je les aligne un par un, comme des voitures en créneaux. Quand je m'exprime c'est toujours à voix haute. Écrire des mots sur une feuille, c'est prendre le risque de faire des fautes. Les gros mots sont à bannir si vous chercher convaincre votre auditoire. A l'oral il n'y pas de violence, les fautes de frappe n'existent pas. Parler c'est exposer son accent, c'est montrer d'où l'on vient qui on est ce qu'on ressent. N'en ayez pas peur, levez-vous... ouvrez grand vos poumons... que votre parole se libère peu importe que vous vous appeliez Patrick Chirac ou Cicéron.

C'est cette dame qui m'a tout appris. En l'écoutant parler, c'est ainsi que j'ai compris. On veut parfois percer son mystère trop tôt. Et un jour on comprend... que l'imiter... c'est idiot ; qu'il faut se lancer, et qu'à cela ne tienne, les laisser parler...nos propres mots.

Je terminerai sur un alexandrin, espérant que ce ne soit pas le vers de trop,                                               Je dirai Madame, Monsieur, pour être orateur il ne faut pas avoir le mal de mer, car s'exprimer c'est naviguer, sur les flots d'une parole divagante, emportée, par un courant, de pensée.