C'était une belle journée. Bon Dieu, le soleil brillait pendant un bel hiver. La journée s'était déroulée sans heurts. Le midi,à la cantine, c'était des pâtes et des carottes. J'avais découvert le goût des carottes jaunes. Léa s'était gentiment moquée de mon émerveillement. On avait beaucoup ri. Jade et moi avons eu un fou rire sur un sujet dont je ne me rappelle même pas et Victor avait regardé sa sœur avec bienveillance. C'était agréable. Les dernières heures de cours étaient interminables. Le temps semblait s'étendre. Mais est finalement venue la sonnerie. Délivrance, n'est ce pas ? Surtout un lundi de rentrée. Je suis sortie et j'ai mangé une tranche de pain d'épice que Jérémy m'avait donné. Sucré et délicieux. Louis m'avait rejointe dans la cour et nous avons ri ensemble. Nous nous sommes séparés et c'est d'un pas guilleret que je suis rentrée à la maison. Arrivée à l'appartement, j'ai préparé un thé pour ma mère. Avec un sucre. J'ai mangé un yaourt au caramel avec mon propre thé. Sans sucre. J'ai activé mon livre numérique et j'ai commencé la lecture.
J'ai entendu la sonnerie de téléphone de ma mère. La musique du générique de Game of Thrones. Ou peut-être était-ce celle de The Walking Dead ? À travers le mur, j'entendais le son de sa voix, mais étouffée. Cependant j'ai distinctement entendu le son de sa voix se briser suivi d'un petit cri. J'ai presque couru jusqu'au salon. Ma maman. Si forte, si farouche, si belle. En larmes. Je l'ai enlacée. Consolée. Rassurée. Mais les faits demeurent. La maman de ma maman est décédée. Suicidée. Pendue. Je connais les phases du deuil. Je suis restée au stade de la colère. Une rage bouillonnante. Un feu ardent.
Nous sommes allées chercher ma soeur qui était sortie. Les larmes. Encore. Intarissables. Nous nous sommes toutes trois rendues chez ma grand-mère. Feu ma grand-mère. Les gendarmes étaient toujours présents. Le soleil déclinait alors que ma mère appelait la famille, cette responsabilité lui incombant. Je suis restée prostrée, frigorifiée. Ma soeur est partie faire un tour. Je suis restée seule devant l'immeuble. Maman pleurait, je la voyais de loin. Un rire triste. Un van est arrivé. On nous a tendu une carte. Celle des pompes funèbres. C'est subitement devenu douloureusement réel. Tangible. Ils ont emporté son corps. Comme dans Twilight, sur un branquart. Peu importe. Nous n'étions pas autorisées à entrer. Elle avait laissé un mot. Cela n'aide pas.
Nous sommes rentrées. Les appels à la famille continuent. Je m'isole une minute pour appeler mon amie, mon âme soeur. Elle a décroché de suite. Je lui ai tout dit. Elle m'a écoutée. M'a consolée. M'a rassurée. Je l'aime pour ça.
C'est un grand fardeau que de prévenir la famille. Mais le pire est de savoir, tout au fond que quelque chose clochait avant d'avoir la nouvelle. Elle m'avait appelée. Mais j'étais sous la douche. Occupée donc. J'ai oublié l'appel jusqu'au lendemain. J'ai rappelé. Rien. Encore. Rien. J'ai abandonné. J'ai haussé les épaules bon Dieu. Le lendemain j'ai réessayé. Rien. Encore. Rien. La culpabilité qui ronge. Alors que des images macabres tournaient dans ma tête, j'ai secoué la tête. C'était idiot d'imaginer des trucs pareils, non ?
J'ai écouté ma messagerie. Des pleurs. Encore. On lui manquait. Avec le recul je comprends que c'étaient des adieux. Un dernier appel. Puis la mort. L'ultime appel à l'aide. La mort, seule.