Shutdown

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Elle rentra dans la pièce quand il commença à faire noir.

— Maman, les lampes, murmura Sandra dès que sa mère franchit le pas de sa chambre. Elles veulent pas s'allumer. J'ai rien fait je te jure.

La voix aussi blanche que le visage, la fillette agrippait le rebord de sa couette avec l'intensité normalement réservée à une branche en surplomb d'un précipice.

— Je sais ma puce, répondit Amélie d'un ton qui, elle l'espérait, ne trahissait pas la peur qui bouillait au creux de son estomac. C'est juste une petite panne de courant de rien du tout. Tout va bien se passer, maman a tout préparé. Je veux juste que tu sois bien courageuse d'accord ? On va aller s'installer dans la salle de bain.

— Pourquoi on va pas aux abris ? demanda la fillette d'une voix si ténue que les battements du cœur d'Amélie manquèrent de la couvrir. La maitresse a dit que...

— La maitresse habite pas à quinze bornes du bunker le plus proche, la coupa-t-elle.

La maitresse est pas une mère célibataire traitée avec la dignité d'une merde sous une semelle par le gouvernement, ajouta-t-elle mentalement. La putain de maitresse est pas parquée en périphérie de la putain de zone sécurisée.

La fillette tressaillit et releva sa couette à hauteur de nez, ne laissant dépasser que son regard écarquillé.

La réaction instinctive de Sandra serra le cœur d'Amélie. Bordel de chiotte ! Elle avait laissé son sourire de façade fondre sous l'acidité de son ressentiment. C'était pourtant vraiment pas le moment de faire flipper la petite. Dans un soupir, elle rassembla autant de calme que possible et se rebâtit une expression détendue. Ce qui, vu la quantité de valises sous ses yeux et sa tignasse blonde en grève de peigne, devait paraitre plus crispant que rassurant.

— Pardon ma puce, tu as raison d'écouter ta maitresse. Mais on n'a pas le temps de se rendre aux abris. La panne a été annoncée bien trop tard. La nuit est presque là. Allons, suis-moi. Tu verras, on va bien s'amuser entre filles.

À essayer de ne pas mourir de terreur.

La fillette réfléchit un court instant avant d'acquiescer. Elle repoussa la barrière dérisoire de sa couette et se glissa hors du lit, dévoilant une chemise de nuit trop longue qui accentuait la délicatesse de sa frêle carrure. D'une main, elle attrapa la triste poupée de plastique surmontée de trois touffes de poils à laquelle elle vouait une affection sans borne. De l'autre, elle agrippa celle tendue par Amélie.

En temps normal, la jeune mère aurait pris grande peine à ne pas serrer trop fort la minuscule pogne, de peur de la briser. Mais, brûlées par l'urgence, toutes ses velléités de délicatesse s'évaporaient. Elle fonça dans le couloir, tractant sans ménagement sa fille à sa suite. L'attention rivée sur la lueur bleutée qui émanait de la salle de bain, elle pouvait presque sentir les ombres s'agiter sur les murs à la périphérie de sa vision, comme des vers sur un cadavre.

C'est dans ta tête, se rassura-t-elle. Tu as encore quelques secondes. N'y pense pas !

Ce n'est qu'arrivée à destination qu'Amélie se rappela qu'il fallait respirer.

— Installe-toi ici, dit-elle à Sandra entre deux inspirations. Près de la baignoire.

La fillette se glissa sans un bruit au fond de la pièce pendant qu'Amélie repoussait la lourde porte blindée. Le verrou émit un rassurant claquement métallique, comme un couperet les séparant de la nuit. La jeune mère lâcha un soupir qui s'étrangla dans sa gorge lorsque son attention se porta sur la lampe à UV placée au bord de la baignoire. L'appareil rustique, déballé à la va-vite d'un des cartons de déménagement qu'elle se promettait de ranger depuis des mois, produisait un grésillement inquiétant.

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