PROLOGUE

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La solitude du marin pesait sur lui. L'horizon se perdait de vue. Aucune âme humaine n'était venue l'aider dans sa quête de survie. Dans sa barque, il essaya tant bien que mal de retrouver la terre ferme. Son ancre à côté de lui le sauvait de ces immenses tempêtes qui le faisaient changer de direction. Celle-ci ne tenait plus, elle se déchiquetait de tous les côtés, expulsant d'un seul coup des planches entières. Le marin sut que sa vie allait lui être ôtée au levé du soleil si rien ne se poserait sur son passage.

Au loin, des ombres prirent vie dans cet orage monstrueux ; les vagues se déchaînaient sur son embarcation et le phare qui tremblait de sa lumière frêle. Le Marin usa de toutes ses forces pour la rejoindre dans l'obscurité. Son seul espoir. Les ombres prenaient tantôt des formes humaines mais en quelques secondes le vent les brisaient pour rejoindre elles aussi le souffle de l'Ouest.
L'homme à la barbe blanche s'approcha un peu plus de son espoir. Seulement la Nature était trop forte pour le marin. Ce qui restait de la barque le fit tomber dans l'eau glacée et se retourna de tout son poids. Il lui fallait quelques secondes pour remonter à la surface, les vagues lui accorda un peu de répit. Mais son abri n'était plus à ses côtés, il décida de nager quelques brasses essayant vainement de la trouver et d'y reposer son corps tuméfié. Quand il comprit que la barque avait bel et bien disparu au fond de l'océan, sans savoir que celle-ci l'avait été non pas par une pure coïncidence, il entendit des murmures féminins et masculins mélangés à une musique douce se déverser au creux de ses oreilles. Il s'arrêta de se débattre avec l'océan, son corps se stabilisa dans l'eau inférieure à zéro degré, il ferma les yeux pour attraper ces notes de musiques virevoltant avec les voix invisibles.
Devant lui se créa une silhouette d'enfant, une fille ? La robe se déroula sur le corps gris du spectre. Avançant à petits pas dans le vide, elle s'approcha doucement du Marin, ses cheveux caressèrent le visage, puis la joue de celui-ci et lui dit tout bas:

- Je suis là pour te sauver, Marin des Océans. Viens avec moi.

- Qui.. qui est-ce qui parle ? demanda-t-il, les yeux toujours clos, se protégeant des éclaboussures salées.


La jeune enfant posa sa main gauche sur le visage de l'homme, puis, petit-à-petit elle le prit dans ses bras pour l'emmener avec elle dans les Cieux. Des gouttes d'eau s'échappèrent des bottes de cuir de l'homme à la barbe blanche. Il se laissa entraîner vers le ciel, sans chercher à savoir pourquoi ce fantôme le prenait lui et non une autre personne.
Il susurra simplement le nom de sa femme qui l'attendait au dessus des nuages, dans le refuge des personnes mortes. Cela ne s'appelait point le Paradis. Car il n'existait pas. Une simple chimère pour faire croire aux humains que la vie est meilleure là-haut. Alors que l'existence d'une personne s'arrête simplement, seul son spectre perdure sur terre, cherchant des âmes égarées criant à tout va au secours.
L'homme à la barbe blanche vit sa femme dans les rayons du soleil qui commençaient à se lever, elle était entourée d'un halo de clarté magnifique, blanc comme la pureté. Ses mains s'étiraient devant son âme sœur, l'accueillant à bras ouverts. Son sourire de dame âgée lui donnait une beauté incroyable ; elle devait avoir près de soixante ans mais sa beauté n'avait rien à envier à celle des jeunes femmes. Ses cheveux poivre et sel tombèrent sur ses épaules gracieusement, laissant échapper quelques boucles dans le vide. Elle était tout simplement époustouflante et son mari ne le savait que trop bien.
La voyant il ne pouvait s'empêcher de sourire. En baissant la tête il vit sa barque refaire surface brutalement ainsi que quelques lattes brisées à côté. La tempête reprit de plus belle et le phare se laissa submerger par les vagues de plusieurs mètres de haut. Celui-ci ne pouvait rien faire, impuissant face au spectacle, alors il laissa juste sa lumière aux voyageurs égarés, espérant que cela pouvait suffire.
Le marin regarda pour la dernière fois la terre des humains pour rejoindre la personne qui lui était destinée. Il s'avança vers elle sans regrets pour la planète bleue et ses habitants. Son chapeau de capitaine se détruisit en de millions de petits gouttes, tombant dans l'eau Irlandaise et regagna sa femme pour l'éternité.
Le halo de lumière se referma sur les deux êtres enlacés et plus aucune lumière illumina le ciel en cette nuit presque achevée. Une seconde fois, l'on pouvait entendre le murmure des spectres restés en bas pour surveiller les âmes qui devaient rejoindre le monde des Morts.

- A-t-il trouvé bon chemin, enfant ?

- Oui, madame, déclara d'une voix frêle l'ombre de l'enfant.

- Très bien, tu peux rejoindre les autres, ma fille.

DANS LES SONGES D'UNE IRLANDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant