Sans Domicile Fixe

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FRANCE

Tout le monde passe, indifférent devant moi. Et moi j'les regarde passer, ces braves gens, ces honnêtes Hommes, ces misérables travailleurs sans le sou pour un pauvre p'tit gars comme moi. Avant, quand j'faisais encore parti de ce putain d'euphémisme que les initiés appellent système, c'était pas comme ça. On pouvait encore me regarder dans les yeux, j'avais pas honte de moi quand j'faisais que marcher dans la rue.

Je pouvais même rentrer dans un magasin sans qu'on m'lance un de ces regards suspicieux qui te foudroient sur place. C'était la belle époque, en quelques sortes. Aujourd'hui les parents cachent les yeux de leurs mômes pour pas qu'ils me voient. Bah quoi ? Tu crois que tu leur rends service à tes pauvres gosses en leur cachant que le monde c'est pas comme dans les dessins animés à la con qu'on leur fait regarder maintenant ? Qu'il y a des milliers de gens, chaque soirs, qui dorment dans la rue pendant que d'autres se paient drogues, alcools et putes en se prélassant dans leurs jacuzzis à dix milles boules pendant que leur majordome leur prépare un tit mojito ? Les gamins éduqués comme ça, c'est ceux qui finissent par me cracher à la gueule et me dire que j'ai qu'à aller bosser quand ils me voient dans la rue. Dans la vraie vie, mon p'tit gars, faut savoir qu'y a pas de roses sans fumier. Et moi, en l'occurrence, je suis le fumier. Le petit merdeux qui a jamais vraiment réussi à l'école, qui n'a jamais eu beaucoup d'autres ambitions que celle d'être heureux dans la vie.

Les gens comme ça, le système il les exploite jusqu'à la moelle, puis une fois qu'ils ont plus rien à donner, il les jette et fait comme si il ne les voyait pas. Oh, y a de braves gens, c'est pas ce que je dis. Simplement, c'est pas eux qui ouvrent le plus leur gueule. Et si ils font même juste mine d'essayer, on leur colle une carotte tellement énorme, tellement belle, pour la fermer qu'ils peuvent pas la refuser. C'est bin triste, mais la vie c'est comme ça, p'tit gars. Alors moi, en attendant que ça change, je tiens mon p'tit bout de carton froissé et abimé par la pluie, je dors dehors sur le territoire du monde et j'attends sagement que des gens sympas qui ont conscience de leur chance me filent quelques pièces pour que je continue d'exister.

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