Je ne vais pas dire que tu es mort en héros ; que je suis fière quand je raconte ton décès. Je ne vais pas dire que j'étais là à tes derniers instants ; que ta dernière image de ce monde était mon visage en pleurs. Je ne vais pas dire que quand j'ai appris ta mort tout autour de moi s'est écroulé. Je ne vais même pas dire que j'ai éclaté en sanglots. Parce que tout ça, ce n'est pas vrai.
Parce que tu es mort en t'étouffant avec du saucisson et que c'est ridicule. Parce que j'étais en train de mater Léonardo DiCaprio devant la télé à tes derniers instants ; parce que ta dernière image de ce monde était un scarabé qui se baladait au milieu de la chaussée. Parce que quand j'ai appris ta mort, le temps s'est figé pendant quelques heures. Et aussi parce que ma première réaction après le silence immobile fût de m'écrouler de rire.
Ne te méprend pas, ce n'était pas un rire de joie. Loin de là. En fait c'était du sarcasme, simplement. Une réaction déshonorante pour un décès déshonorant. Les Luttain sont venus toquer à la porte pour voir ce qui se passait. Quand je leur ai annoncé la nouvelle entre deux hurlements de rire, ils m'ont regardé bizarrement et sont repartis. Il n'y avait rien de grave. Enfin, à part le pétage de plombs de la voisine, qu'ils ont dû penser.
Mais je me fous de ce qu'ils pensent.
Maintenant, plus rien n'existe. Plus rien n'a d'importance. Excepté les exceptions - bien sûr, il y toujours des exceptions. Toi, moi. Enfermés dans une bulle, la bulle... Je ne sais pas, en fait. Je ne sais pas ce que cette bulle représente. Je sais juste que tout ce qui n'est ni toi, ni moi, ni cette bulle qui nous unit, s'est évaporé. Pouf, envolé. Gommé, rayé de la surface de la Terre. Que dis-je ; de l'univers tout entier !
Enfin tout ça c'est dans ma tête, bien sûr. Mais j'aime bien faire comme si "dans ma tête" c'était la réalité, parce que tant que je ne percevrai pas le monde tel qu'il est (ce qui ne veut rien dire, j'en suis consciente), ce sera une réalité : la mienne.
Si je dois vivre avec, alors autant faire le boulot jusqu'au bout.J'ai dit précédemment que tu étais mort en étouffant avec du saucisson, et que ce n'était pas très glorieux. Mais peu importe. Ce qui compte dans ton cas, ce n'est pas la cause mais la conséquence : tu es mort. Et ça, je ne le pardonnerai jamais. Je ne t'en veux pas, et à moi non plus. J'en veux aux autres. Au monde. Au destin. Au hasard. À Dieu s'il existe. À tous les saucissons du monde. À la vie. À la mort.
J'en veux à tout autour de nous, de nous avoir séparé.Bon, ben je vais m'arrêter là pour aujourd'hui. Je te prie de m'excuser, mais je dois assister à ton enterrement.
VOUS LISEZ
Après toi
ChickLitTu es mort, et pas d'une façon pas très héroïque, on peut se l'avouer. Je ne sais pas comment je vais bien pouvoir faire ; sans toi pour m'empêcher de me tatouer le drapeau LGBT sur la poitrine après une engueulade avec mes parents à propos de la to...