Les mecs trop parfaits

Federico.

Peut-être qu'un jour je relirai ces lignes et je rirai. Mais aujourd'hui, en revivant ce qui s'est passé, je n'ai vraiment pas envie de rire. 

Comme je le disais dans le premier chapitre, j'ai déjà vécu plusieurs fois le rejet ; ce n'est pas dramatique, tout le monde vit cela, ça arrive et de toute manière on ne peut pas forcer les gens à être amoureux de vous. 

Ce qui est plus douloureux, c'est quand une relation commence, que vous croyez qu'elle peut donner quelque chose, mais que vous savez juste que le mec est trop parfait pour que vous soyiez au niveau. 

C'est le cas de...appelons-le Federico. 

Federico est possiblement plus parfait que toutes les relations que j'ai connues, depuis très longtemps, depuis toujours peut-être. J'ai déjà rencontré des petits mecs mignons, et l'un d'eux m'a déjà rejeté ...d'une façon assez vexante, mais rien de comparable à Federico.

Sa beauté est hors de ce monde, il ressemble à un acteur de théâtre, du genre à faire baver toutes les filles dans un rayon de 20 mètres. Ses cheveux rayonnent parfaitement dans la lumière du soleil. Ordonnés dans une des plus jolies coiffures pour mec qui puisse exister, ils paraissent sortir tout droit d'un spot publicitaire pour après-shampoing par leur souplesse, leur tombé et leur brillant. Ses lèvres sont comme celles d'une statue grecque, ses yeux châtain superbes s'ouvrent largement, rayonnent et pétillent, son sourire illumine une pièce. Sa peau est satinée, ni mate ni luisante, elle se moire de la perfection d'un "après" dans les "avant-après" des prouesses dermatologiques. J'aimerais dire qu'il utilise du maquillage, mais c'est faux. 

Il n'a aucun poil, sauf quelques uns qui sont esthétiques. Sa voix est une musique grave et cordée, éraflée, ni trop rêveuse ni trop dynamique. Masculine. Son torse est lisse, beau comme un temple, soyeux, encadré parfaitement par deux tétons de taille idéale et quelques grains de beauté comme de minuscules taches sombres rehaussant la perfection d'une pièce  d'albâtre. Il est très mince, (sa minceur est mise en valeur par un pantalon sobre mais élégant qu'il enfile comme un gant, troué exactement de la façon qu'il faut, avec sobriété et proprement) mais il est également musclé, il fait du sport, fume quelques cigarettes mentholées (mais qui, par miracle, sentent bon), ses vêtements et son apparence ne sortent pas de magasins ultra chics ou de préparations durant des heures, mais il les porte avec la grâce d'un mannequin, transformant toute personne autour de lui en épouvantail en haillons fripés par comparaison. Cela a l'air d'une blague dit comme ça, mais attendez de le rencontrer, quand vous vous sentirez dans le rôle d'un sac poubelle en face d'un top model, vous n'aurez pas envie de vous moquer du "trop de perfection", du cliché que cela représente, et tout le reste...

Son ex a été une relation de long terme, un danseur classique, au torse toné et aux goûts raffinés. En fait, il n'est sorti qu'avec des danseurs. Ou des sportifs. Avec des physiques de magazine. 

Il travaille régulièrement, a un planning bien organisé, une vie sociale normale, et il aime les choses simples comme le chant des oiseaux ou une journée ensoleillée. Même ses caleçons sont des oeuvres d'art. Ils sont simplement parfaits. Je ne sais même pas où l'on peut trouver des caleçons comme ça. Je n'en ai jamais vu ailleurs. Peut-être dans des collections très chic. Mais je sais que quand je vois des vêtements luxe, ils ne m'iraient pas de toute manière. Je les porterais comme un tablier de cuisine, et en me voyant je me dirais "rendez ça aux gens qui savent vraiment le porter Madame, rendez service aux humains".

Je ne parle même pas de son physique intime, il pourrait jouer dans des films pour adultes. Sérieusement.

Quand il s'est accoudé à ma fenêtre pour fumer une clope, à moitié nu, je lui ai dit que si je prenais une photo cadrée de lui à cet instant, je pourrais la vendre à un magazine de mode, tant il ressemble à un mannequin dans un shooting. Cela l'a fait sourire. Et c'était vrai. 

J'ai déjà connu des mannequins, bien sûr ils sont mignons, mais souvent on peut trouver chez eux un côté qui déplaît, un côté ridicule ou qui nous éloigne d'eux, mais Federico, sans être mannequin, surclasse les mannequins. Il les renvoie au vestiaire, en attendant peut-être de prendre la place qui lui est réservée parmi eux, au sommet des fantasmes de la planète qui trime, qui peine et qui a des problèmes de dents et de pieds. 

Ses photos, bien que fort jolies, ne rendent pas correctement l'impression de perfection qu'il donne à ceux qui le fréquentent ; il faut le voir pour le croire. Là où je me contente de marcher avec la pesanteur de la créature balourde qui n'aurait peut-être jamais dû sortir de l'atelier, il évolue gracieusement dans son environnement.

Pour se distraire, il lit un livre, il boit un café en terrasse. Il n'a pas besoin de chercher un mec...Il trouve naturellement. La lettre de la Poste lui arrive toute seule en main portée par le vent, en quelque sorte. C'est ainsi que l'on peut résumer sa vie sentimentale. Il a toujours trouvé exactement ce qu'il lui fallait. Il n'y avait pas besoin de chercher. 

Evidemment, ça ne pouvait être qu'une erreur du tirage de loto que ce mec veuille passer du temps avec moi, me dise qu'il me trouve beau...Mais quand même. Quand ce mec vous zappe, cela fait très mal. Je me dis : "j'ai été une erreur dans sa marche, un petit pas de travers". Je sais que je suis un million de fois moins parfait que lui et je me sens coupable d'avoir même cru que je pourrais être au niveau. J'ai failli. La culpabilité la plus douloureuse est de me dire : j'aurais pu, j'aurais dû être mieux. Faire mieux. Il méritait mieux que moi, au moment où il est sorti avec moi. J'ai failli à la mission naturelle de lui donner ce qu'il méritait d'avoir. Comment a-t-il pu sortir avec moi...Et quelle honte que j'ai été si en-dessous de lui. 

Ce qui est amusant, c'est que j'ai déjà vécu quelque chose d'à peu près comparable (mais moins intense). Un mec très beau, que j'ai vu juste un soir, très mignon, vraiment. Et il ne m'a plus jamais rappelé ensuite. Mais ce mec, quelles qu'aient été ses qualités (et sa lâcheté ...parce qu'il suffisait de me parler, mais bon), ne m'a jamais blessé autant que Federico...et ne lui était simplement pas comparable. 

Est-ce que je suis amoureux de lui ? Je l'ignore. Peut-être pas. Ce serait désastreux. Je crois que non. Tant mieux. Je suis juste terriblement déçu et humilié d'être à ce point nul comparé à un mec parfait. 

Peut-être les choses sont-elles mieux ainsi. Sortir avec lui ...ou continuer de le faire...m'aurait rendu meilleur. Peut-être. J'aurais essayé d'être meilleur. Mais à présent, je peux essayer de devenir meilleur pour que le prochain Federico ne me juge pas trop inutile...

Cela, ou renoncer à toute vie positive et juste rester chez moi !

P.S : en terminant d'écrire, cela me fait sourire, donc au moins, je me sens mieux à la fin qu'au début ! F. est la définition même du "ridiculement photogénique"...On a juste envie de rire tellement c'est absurde. Le manchot qui essaie de sortir avec le sterne arctique...Mais peut-être devrais-je voir cela autrement. Je n'ai pas envie de sortir avec des manchots, ni me faire jeter par les parfaits.  En me sentant nul. Mais, je pourrais toujours me dire, "j'ai eu de la chance". Au moins j'ai vécu cela. Ne serait-ce pas trop défaitiste ? Peut-être qu'un jour, je pourrai être un sterne. Peut-être en ai-je été, ou en suis-je un, aux yeux de certains. Peut-être. 

Peut-être. Mais...