Acte II

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J'ai passé la journée à attendre la nuit. Dès le matin, j'étais prête à partir. Mais mon "mari" est introuvable. Il reviendra certainement au soir. Je me demande ce qu'il fait. Sûrement tuer de pauvres innocents, se repaître de leur sang et ensuite... Non, ce n'est pas possible. Hier soir, il semblait doux comme un agneau. À moins que ce ne soit une ruse... Peu importe. Ce soir, tout cela ne sera plus qu'un mauvais rêve.
Quelle chance j'ai eu.

Nuit de nouvelle Lune. La bête passe les portes du palais. Enfin. Je l'attends dans la salle à manger.
Une nouvelle fois, toutes les lumières s'éteignent. Je plisse les yeux, pour tenter de les habituer au manque de lumière. Mais je ne vois toujours rien.
Les pas avancent vers moi. Ils s'arrêtent, à quelques mètres. Contrairement à moi, mon mari semble très bien voir dans le noir.
- Bonsoir, dit-il de sa voix suave. Tu as toutes tes affaires ?
- Oui.
J'essaie de garder le ton le plus ferme possible.
- Alors pourquoi tu n'es pas partie ?
- Eh bien, je pensais... qu'il fallait que je vous attende...
En y repensant, c est vrai que j'aurais pu partir directement...
Mince. Il m'a encore déstabilisée. Comment fait-il ? Je ne sais jamais sur quel pied danser, avec lui.
Il rit, en petits éclats soufflants, qui viennent effleurer mes joues. Son rire se mue en lent soupir.
- Je m'excuse à nouveau pour ce qui s'est passé. J'ai agi de manière... infantile, cruelle, déraisonnée.
- Que comptiez-vous faire de moi ?
- Je voulais juste... pouvoir te parler, passer du temps avec toi... Je ne comptais pas te faire du mal, je t'assure... C'est la dernière chose que j'aurais voulu.
Voilà pourquoi il me rend si confuse. Il me parle. C'est bien la première fois que quelqu'un me parle, en dehors de mes parents. Son ton a l'air si sincère, en plus...
- Si tu ne désires plus être mon épouse, dis-le moi. Je comprendrai.
- Je suis sûre que vous trouverez quelqu'un de mieux que moi...
- Oh non, ne dis pas ça ! Tu es tellement... tellement...
"Belle". Allez, dis le. Dis que je suis belle. Vous me vénérez tous uniquement pour ça. Vous êtes tous focalisés sur...
- ... seule.
Long silence. Je suis abasourdie.
- Pardon ? Qu'avez-vous dit ?
- La première fois que je t'ai vue, tu avais l'air si seule... J'ai cru que j'avais enfin rencontré quelqu'un qui me comprenait.
Le pauvre... Il semble vivre reclus, à l'écart du monde. Il a peut être un immense palais, mais il n'a personne avec qui l'habiter.
- Je vous comprends. Je sais ce que c'est, d'être prise pour une bête de foire.
Il a seulement du mal à gérer ses émotions. Ai-je envie de le laisser seul à nouveau, et que plus personne ne s'approche jamais de lui ? Ai-je envie de rentrer chez moi, et de continuer à vivre la même vie, dénuée de toute conversation intéressante ?
J'ai pris ma décision. J'ai besoin d'avoir quelqu'un à qui parler. C'est risqué, avec cet inconnu. Mais de toutes manières, s'il commence à me faire souffrir, je n'aurai qu'à m'en aller.
- Peut-être que je pourrais rester un peu plus de temps avec vous... Ainsi, nous ne nous sentirions plus seuls.
- Tu voudrais bien ? Ça te rendrait heureuse ? demande t-il, d'une voix illuminée.
- Oui, ça me ferait plaisir... Hum... Par quoi puis-je vous appeler ?
Courant d'air. La chose s'est retournée.
- Si tu veux qu'on reste ensemble, il faut que tu me fasses une promesse.
- Quelle promesse ?
- Tu ne dois jamais connaître mon nom, ni jamais, ô grand jamais, essayer de découvrir mon visage. Jamais.
- Pourquoi donc ?
- Cela ne te regarde pas. Tu m'as bien compris ? Dis-le.
- Je ne dois jamais te voir, ni savoir ton nom.
- Jure.
- Je le jure. À toi de me faire une promesse, maintenant.
- Quelle est-elle ?
- Quoiqu'il arrive entre nous, tu ne feras jamais de mal, ni à moi, ni à ma famille, ni à tout mon royaume. C est clair ?
- Juré.
Il me souhaite bonne nuit, puis s'en va dans une des chambres. Je pars dormir dans la mienne.
Cette fin de conversation était quelque peu étrange. Pourquoi ne veut-il pas que je sache qui il est ? Il doit avoir honte de son apparence.
Ce n'est rien, de toutes manières. Je suis assurée du fait qu'il ne représentera jamais une menace pour moi ou pour les autres.

L'amour est aveugleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant