Londres disparaissait sous l'épaisse couche de neige qui épaississait les formes devenues grossières des bâtiments anglais. Les rues étaient désertes en cette froide nuit d'hiver et la plupart des habitants avaient déjà effectué et achevé leurs courses de Noël. La ville était traversée de tout part par de diverses guirlandes et décorations accrochées d'un toit à un autre et le Big Ben et ses alentours brillaient de mille feux. Rien, en cette période de l'année, ne pouvait égaler la beauté de la capitale anglaise. Il y avait, cependant, un défaut, une animosité dans les cœurs que nul ne pouvait ignorer et qui venait corrompre l'éclat de la ville. En effet, Londres était en proie à de nombreux cas de suicides inexpliqués, et d'une fréquence telle, qu'elle ne pouvait coïncidée sans un brin de génie.
Toute l'Angleterre tremblait dans l'attente d'une nouvelle annonce – exclusivement publiée dans le Times – affirmant le décès d'une nouvelle victime. Celle-ci se demeurait introuvable dès lors que l'on avait noté sa disparition, laissant aucune chance à la famille en deuil d'enterrer et de choyer une dernière fois son mort. Toutefois, la vie continuait son lent et monotone rythme pour ceux qui avaient eu la chance d'être épargné d'une telle situation et la Scotland Yard s'affairait à apaiser les cœurs affolés de ces mêmes familles.
Baker Street avait eu ce privilège, et Noël se passait sans encombre pour Sherlock Holmes qui ne sut quoi faire de cette inutile soirée, dictée par des Hommes à l'intelligence réduite. Son ami et colocataire, le docteur John Watson était, quant à lui, invité à passer le réveillon en compagnie familial – celle de sa nouvelle petite copine. Comment s'appelait-elle déjà ? Lucie ? Annie ? Bref, un nom des plus stupides que Sherlock avait choisi de supprimer de sa mémoire. Allongé sur le sofa, la mine boudeuse et renfrogné, Holmes n'avait pas bougé d'un millimètre depuis le départ de John, fumant cigarettes après cigarettes sous le regard réprobateur de Mrs Hudson, la propriétaire de la maisonnée.
- Good Lord, Sherlock ! Cesse donc et vient dîner chez moi ! Une gentille jeune femme que j'ai rencontré à la librairie, me fait le plaisir de sa visite. Je suis, d'ailleurs, tout à fait sûr qu'elle te plaira.
Pour toute réponse, Sherlock renifla dédaigneusement et tira une longue bouffée de sa cigarette fumante :
- Not interested. Je veux un meurtre pas un autre de vos assommants dîners ! Keep moving !
Exaspérée, Mrs Hudson fit claquer violemment la porte avant de marteler les pauvres escaliers d'une démarche alourdie par la colère. Nullement perturbé, Sherlock joint ses mains sur son menton.
Dieu qu'il s'ennuyait, dans l'attente d'un signe de la Scotland Yard. En effet, l'inspecteur Lestrade qui n'était pas aussi stupide que Sherlock aimait à le penser, avait pris ses précautions et l'avait fait promettre de n'intervenir que sur leur demande.
« Like a fox in a cage ! » s'écria subitement Sherlock en se redressant.
Les membres tremblotants, le détective alluma la télévision – qui trônait comme une reine déchue de sa fonction dans un recoin du living-room. Une grande déception s'insinua alors en Sherlock qui avait eu la patience de voir de nombreux guignoles défilaient les uns après les autres, voguant tous du même sujet à un autre : 'les fêtes de Noël, joie obscurcie par l'angoisse des événements précédant'. Stupide journaliste qui se sentaient toujours obligés de romancer les faits. Il n'y avait aucune « joie obscurcie », juste des pertes humaines qui étaient – il fallait se le dire – bien insignifiantes : il y avait toujours près de sept milliards de crétins ignorants qui usaient encore de force gravitationnelle alors que l'espace et son dépotoir de satellites n'attendaient plus qu'eux, pensa Holmes.
Sherlock devait, en revanche, avouer que ces suicides étaient des plus étranges car, selon, ses sources, les victimes étaient toutes mortes d'asphyxie. Les corps en témoignaient d'eux-mêmes : de sombres ecchymoses se dessinaient sur des cous aux visages bleuis par le manque d'oxygène. Seul hic, l'unique ADN recueillit et étudié par les médecins légistes correspondait à celui des victimes. Cinq suicides, répétant tous l'unique et même procédure : marques de lutte, ecchymoses répandues sur tout le corps, coups à répétions de grande violence. Une seule personne ne pouvait s'infliger de tels dégâts sans l'aide d'une tierce. « A moins que... » Sherlock sourit. Il y avait de quoi donner du fil à retordre aux clowns qui servaient de détectives à la Scotland Yard.
Sherlock renifla, le mépris se lisant sur son visage et se réinstalla dans son fauteuil – quoique molletonnée – devenus de plus en plus inconfortable avec le temps. Dans le silence, légèrement perturbé par le très faible volume de la télévision, Sherlock entendit un rire s'élevait, résonnant dans la cage d'escalier. Un rire cristallin et criard, typiquement féminin, qui crissa dans ses oreilles désormais meurtries. Irrité, le détective saisit le plus gros volume ornant sa bibliothèque, l'apporta aux niveaux de ses yeux et le lâcha dans un fracas qui ébranla les murs de placo.
- Mrs Hudson, pouvez-vous dire à l'oisellerie qui sert de gorge à vôtre amie de fermer boutique ? Je n'ai pas l'humeur à adopter une perruche, voyez-vous, cria-t-il la tête penchée vers le plancher.
Dans un demi sourire narquois, Sherlock aperçut mentalement la mine offusquée de Mrs Hudson et s'en réjouit. Il se détourna. Laissant choir l'épais ouvrage au sol, il saisit son violon et fit lentement glisser l'archet sur les cordes tendues. Un doux air mélancolique s'en échappa alors, et résonna dans tout l'appartement. Le regard dur et renfrogné, Sherlock se tourna face à la fenêtre et parcouru des yeux les rues enneigées et désertes. Ses mains s'activaient d'elles-mêmes, jouant morceaux après morceaux, le regard rivé au-delà de la fenêtre lorsque, enfin, il l'aperçût.