Reste en vie

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Debout devant sa tombe, les larmes dévalent mes joues. Le souvenir de sa présence est un crève-cœur quotidien, une souffrance telle qu'elle m'empêche de respirer. Je me souviens de son souffle chaud sur ma nuque, de ses mains constamment froides, et surtout de son parfum qui m'enivrait dès que je m'approchais. Mais, ce qui me revient en tête incessamment, c'est notre rencontre qui bouscula ma vie.

L'histoire commence il y a cinq mois à l'hôpital Saint-Louis.

Il est 14 heures 55 ce jour-là, et je sors de ma énième séance de chimiothérapie. Je me dirige vers la chambre 521 que j'occupe avec une fille de mon âge dans l'Unité d'hématologie adolescents et jeunes adultesoù je croise chaque jour des personnes atteintes comme moi de cancer et de tumeurs.

Je souffre d'une leucémie aiguë lymphoblastique. Lorsqu'on me l'a diagnostiqué trois mois plus tôt ce fut un vrai choc. Je ne pensais pas que ce genre de chose pouvait m'arriver. Dans le couloir, je croise quelques amis à moi et plusieurs infirmières qui me demandent si tout s'est bien passé. En rentrant dans ma chambre je tombe nez à nez avec Hanna, ma « colocataire » allongée sur son lit en train de regarder notre série préférée.

« Ah, Jade ! Justement je t'attendais », me dit-elle.

Je m'installe avec elle et lui fais un câlin. Elle me caresse les cheveux et nous regardons tranquillement notre série jusqu'en fin d'après-midi. C'est notre rituel post-chimiothérapie.

À 18 heures, nous nous dirigeons vers la salle de repos en vue d'assister à la réunion hebdomadaire. C'est le moment où l'on échange entre nous et où l'on rencontre les nouveaux malades. Dans la salle, Hanna et moi nous rejoignons notre groupe d'amis. Assis en cercle, un verre de jus de pomme à la main nous évoquons rarement nos maladies, nous nous contentons d'échanger sur les petits potins et de débattre sur les actualités people de la semaine. Ainsi la conversation bat son plein.

Quelques minutes plus tard, un garçon que je n'ai encore jamais vu prend une chaise et s'installe à l'écart. Il est plutôt grand, avec les cheveux bruns mi longs sur le dessus du crâne. Mon regard reste fixé sur sa personne. Il est différent de nous tous. Il s'assoit nonchalamment sur sa chaise sans daigner accorder un regard au reste du groupe. Malgré son air méprisant, je reste en admiration devant lui. Mes yeux ne se détachent pas de son visage, mais lorsque nos regards se croisent, je reviens à la réalité et me détourne.

Mais voici le directeur du service qui vient nous dire bonjour. Arrivé devant ce nouveau patient, il se racle la gorge et se tourne vers nous : « Je tiens à vous présenter Raphaël qui rejoint notre unité. »

Le nouveau-venu balaie la salle du regard et le pose sur moi. Il reste muet pendant que le directeur nous informe que ce jeune garçon souffre d'une tumeur germinale cérébrale, c'est le genre de maladie difficile à soigner.

Entendant cela, je comprends son manque de sociabilité.

Les jours suivants, peu souriant et fermé à la discussion, Raphaël est un fantôme vivant dans l'enceinte de l'établissement. Il est impossible de l'approcher. Même lorsque l'on prend des pincettes. Il glace le sang de tous...

Jusqu'à ce que, par un matin ensoleillé, sortant de ma séance de chimiothérapie, je me dirige vers les jardins accessibles depuis notre étage.

Là, entre les fleurs qui s'y épanouissent tranquillement, quelques patients se baladent après le petit-déjeuner, s'arrêtant selon leur gré près d'un banc pour se ressourcer. Au loin, j'aperçois Raphaël accoudé aux barrières. Caché de tous, il se retourne constamment pour vérifier si personne ne le voit. Curieuse je m'approche mais, arrivée à ses côtés, je remarque une odeur particulière qui semble sortir de ses narines. Pris au piège, il se retourne et fait tomber un briquet. Je le dévisage incrédule, comment peut-il fumer alors qu'il souffre d'une telle tumeur ? Pourquoi s'inflige-t-il cela ?

Reste en vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant