Vision, Coyote et Toupie

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Le vent balayait la plaine ce soir-là. L'air était lourd, la chaleur du désert planait au niveau du sol, résistant aux bourrasques. La femme regardait les derniers rayons du soleil disparaître derrière les Rocheuses. Son seau bringuebalait contre ses jambes.

« Hey ! Betty ! Tu ne vas quand même pas y passer la nuit ! Les clients attendent ! »

La voix la tira brusquement de son immobilité. La jeune femme se retourna pour regarder l'homme qui la hélait depuis l'encadrement. Elle secoua la tête et descendit sans un mot de la butte où elle se tenait pour s'avancer vers le puits. Elle accrocha le seau au crochet et détacha la corde. Alors que le récipient disparaissait lentement dans les ténèbres, elle jeta un coup d'œil vers l'ouest mais l'astre avait entièrement disparu. Un hurlement retentit dans le lointain. Elle frissonna. Sûrement des coyotes. Ces hurlements se rapprochaient de nuit en nuit. Ces satanées bestioles allaient bientôt les atteindre. Avec la sécheresse de la fin de l'été, elles se rapprochaient du seul point d'eau disponible à la rond : le puits. Pour Bernadette, ils pouvaient bien la dévorer qu'elle ne puiserait pas d'eau pour eux et les regarderait crever de soif en riant. Mais bientôt ils seraient là et les environs de l'auberge se transformeraient en guerre sanglante pour la survie. Les hommes contre les bêtes. Un plouf l'arracha à sa vision et elle entreprit de remonter le seau plein. En retournant à l'auberge, elle entendit les voix des clients monter. Elle se faufila au comptoir et entreprit de remplir la marmite en guettant du coin de l'œil les deux hommes qui s'étaient levés et s'invectivaient de plus belle.

« Ah te voilà Betty, je commençai à me demander si les coyotes t'avaient pas bouffée ! fit l'homme accoudé au comptoir. Allons, fais pas cette tête, je les tuerai avant qu'ils ne s'en prennent à toi, lâcha-t-il avec un sourire. »

Il marqua un temps d'arrêt le temps d'éviter une choppe qui s'écrasa contre le mur avec fracas.

« Et bien ! Ils sont remontés ce soir ces deux-là ! Espérons qu'ils ne fassent pas de bêtise, j'ai payé pour la nuit... »

Tout en parlant, il avait sorti un couteau et un bout de bois et commençait à attaquer méthodiquement celui-ci. Betty le regardait, immobile. Le ton semblait monter entre les deux agitateurs. L'homme du comptoir fit une grimace :

« Une jeune fille de ton âge ne devrait pas avoir à écouter des horreurs pareilles. Viens plutôt voir ici ! »

Au même moment, il souffla sur le bout de bois pour enlever les dernières traces de sciure, révélant une toupie. Il la mit arbitrairement dans la main de la jeune femme. Elle resta muette, les yeux fixés sur l'objet. Un bruit assourdissant retentit. La stupeur se dessina sur le visage de Betty. Le temps marqua une pause puis elle glissa lentement à terre. La toupie s'en alla rouler plus loin.

« Merde John ! T'as buté la serveuse ! cria un des deux hommes. »

Le-dit John, le pistolet à la main encore fumant, regardait interloqué le corps inanimé de Betty. L'homme du comptoir se leva et se pencha par dessus d'un air tranquille.

« Et bien, aussi active vivante que morte celle-là... »

Les rires des hommes se perdirent dans la nuit accompagnés par les hurlements des coyotes.

Les Petites Histoires du SoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant