C'est vraiment beau. La campagne s'étire et s'étend partout à perte en pur gain. La poudreuse que je sais douce même aux grillages s'accroche, aux branches se cramponne et s'entasse. On a peint au pinceau plat, à la brosse en rouleau, toutes les aspérités et terraformé les replats les ressacs les vallons qui sinuent en une large couette sans visage et sans voix. La neige étouffe et embrasse, étreint de sa froidure les forêts qui s'allègent de sa grâce volatile. Je file au travers comme si je clignais des yeux et l'étrangère que je ne suis qu'à peine se prend à connaître ce sentier engoncé de mousses surgelées. La caresse mentale d'une rivière ou d'une route qui dure tranche l'uniformité placide, atteste d'une résistance, d'un combat qui se mène contre le froid. En esprit déjà je marche seule dans ce champ laissé là par le temps, il me tarde de ne plus rien percevoir que le tourbillon des flocons emplumant mes vêtements ouverts à tous vents.
Là, je pourrais aussi bien me trouver ailleurs, autre temps, autre lieu, autres yeux. La neige a ce pouvoir que je n'ai pas et fait voyager si le cœur vous en dit à travers un spatiorift défient temps et distances. C'est brutal, ça vous saisit dans un vortex qui vous fouette jusqu'à vous laisser exsangue face à l'univers et aux branches empesées de givre. Tout est fragile : la neige ; vous. Au loin une ramure ploie et craque, dévale la hauteur de son tronc, s'échoue lourdement et presque sans bruit dans le tapis imperturbable. Comment tant de douceur et de légèreté peut faire plier, peut briser, du bois vert là où la violence peine ?
Dans ma tête j'ai un air de guitare qui me rend le cœur et je crois que c'est cette musique vouée à traverser les âges. Elle n'a pas de forme, pas de substance, pas de partition bien sûr. C'est une mélodie sans cesse changée et inchangée, qui résonne dans les âmes comme un cristal a sa tonalité propre. Comme tout vibre.
Je n'entends pas mes pas mais les devine plus que je ne les vois. Je crois que la neige tend vers l'espace et les étoiles : regardez la forme des flocons, écoutez leur silence. C'est le versant lumineux de l'espace, la neige vit, fait vivre, fusion improbable d'air et d'eau, amène et joueuse là où le vide entre les étoiles veut écraser sous l'absence toute vie trop folle pour se glisser en son sein. Quand vous tombez dans la neige, elle vous accueille, atténue le choc, et engourdit de son froid la douleur. Quelle meilleure alliée ?
Je pense à ce que je m'apprête à faire, à la tâche qui m'attend. Je n'ai pas froid ni faim, je me contente de marcher, mes pouvoirs endormis et sans vigilance, l'esprit en proie à la mollesse. Rien n'est grave puisque je suis en vie pour l'instant.
Tout à l'heure je tiendrai Æstis dans mes mains.
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Rêveries du Multivers
FantasyUn restaurant touristique banal sur fond de querelle conjugale. L'exode du christianisme et ses implications dans d'autres sociétés. Un assassinat, une bataille imprévisible et l'émergence d'une personnalité puissante. La transhumance, la fuite, de...