The pact

Dragon rouge

Tu observes la voûte qui domine ton horizon d'enfant. Tes petits yeux distinguent une fresque que tu lis comme un livre ou un film et qui occupe les longues journées froides que l'on t'impose dans cette cave. Tu as encore du mal à saisir l'intégralité du tableau. La lumière du jour pénètre encore trop difficilement par l'entrée étroite de la roche.

Il y a beaucoup de choses que tu ne connais pas compte tenu de ta très courte présence sur cette terre. Pourtant, ton esprit est déjà rempli de souvenirs qui défilent devant tes petits yeux endormis. Tu t'es vu ainsi regarder des images animées sur un écran et tu t'es surpris à rire. Tu n'as jamais pu reproduire ce rire une fois éveillé. Mais tu as au moins appris ce qu'était un film.

Tu es bien nourri par une cohorte de paysans aux yeux bridés. Plusieurs fois par jour, tu goûtes au lait d'une jeune femme qui n'est jamais la même. Chaque soir, ils sont nombreux à s'attrouper autour de ton berceau en osier et à murmurer des chants en se courbant en rythme. Cela a le don de t'endormir.

Hier, le lait avait un goût rance mais tu n'as pas pu communiquer ton courroux à la jeune fille. Tu as dû avaler tout le lait et le vomir plus tard. Tu comprends à cet instant que ta colère est stérile face à ton impuissance. Cela attise ta hargne.

A mesure que les jours défilent et que la lumière perce, tu découvres un nouveau pan de la fresque de la voûte. Aujourd'hui, tu souris devant le travail accompli. Tu peux enfin profiter du spectacle dans son intégralité. La longue queue que tu voyais s'allonger chaque semaine n'est autre que celle d'un dragon rouge qui a sans doute mieux protégé ta couche que n'importe lequel de ces paysans.

Quelques années plus tard, tu cours dans une forêt épaisse, pieds nus et le reste guère plus habillé. Tu as bien grandi et tu as surtout bien appris. Tu sais que ta naissance reste un mystère et qu'une légende qui annonçait l'arrivée prochaine d'un enfant dieu abandonné a parfaitement servi ton avenir.

Tu as vu comment des hommes incultes peuvent se révéler d'une aide indispensable à ton éducation. Tu as aussi détecté un comportement récurrent chez l'homme dans sa jalousie sans limites. Tu as vu dans les yeux de l'un d'entre eux une menace pour ton intégrité physique eu égard à ton statut d'enfant choyé.

Ce jour là, tu as saisi une bêche et tu l'as suivi jusqu'à la rivière qui débouche sur le delta. Il s'est accroupi pour vérifier ses pièges à Panga et tu as soulevé la bêche de tes deux mains. Tu es resté paralysé jusqu'à ce qu'il se retourne. Il aurait pu te tuer en te plantant son couteau de poche mais il a préféré prendre la fuite. Une fois qu'il a disparu, tes bras se sont détendus et tu as reposé la bêche.

Tu ne sais pas tuer. Tu ne peux pas tuer.

Tu as passé des nuits sans sommeil en craignant son irruption dans ta chambre. Il n'est jamais venu mais lui vivant tu n'aurais jamais été en paix. Tu t'es confié à Phan, de trois ans ton aîné.

Il n'est pas bien malin mais il a les bras de son père, noueux et forts comme les cuisses de nos porteurs. Il t'a surtout toujours vénéré comme l'élu capable de lui garantir une place au paradis des pêcheurs.

Tut'es plaint des intimidations de ton ennemi et de ses moqueries. Tu n'as pas euà beaucoup insister pour que Phan se propose de t'en débarrasser. Tu as délibérémentrefusé son offre en prétextant le goût du pardon qui n'a fait que te rendreencore plus brillant aux yeux de Phan. Et puis, tu as brisé les pièges de tonennemi à la rivière. Il t'a surpris et t'as corrigé violemment. Ton visage tuméfiéa suffi à déclencher la colère de Phan qui s'est empressé de noyer Huê. Ce n'est qu'à cette occasion que tu as su comment il s'appelait.

Mais Phan n'avait pas ta force de caractère et il a vite cédé durant l'interrogatoire des sages du village. Il était temps que tu quittes les lieux pour de plus grands espaces. Tu as erré des jours et des nuits entre rizières et forêts, vents et moussons, jusqu'à tomber d'épuisement aux pieds d'un arbre centenaire.