La neige a recouvert Paris de son blanc manteau. Peu sont les passants ayant le courage de trainer leurs pieds dans son infinité. Ils couraient tous, avec précaution et légère maladresse, leur écharpe manquant de s'envoler à chaque pas, leur bonnet engouffrant leur visage rougi et leur mallette contre cuisse, claquant au rythme de leurs foulées.
Elle aimait observer ce paysage, peignant ensuite de ces mots sa beauté. Elle était méticuleuse, chaque détail devait être complet. Ainsi, le lecteur pouvait dépeindre le tableau dans sa tête sans aucun soucis. C'est ce qu'elle préférait, le réalisme. Elle ne comprenait point pourquoi l'inconnu, l'incompris inspiraient tant les artistes et l'art moderne en général. Le flou valait-il mieux qu'une reproduction précise? Pour elle, une oeuvre ne pouvait exister sans que tout ses éléments soient relevés, étudiés, travaillés. Ses détails avaient été un combat, une évolution, sans cesse menée durant tout l'Histoire de l'art, et cela l'écoeurait de voir cette lutte détruite sans aucune once de regret.
Elle avait aussi du mal avec les métaphores, comparaisons, paraphrases, et autres figures de style. Si une émotion, un paysage, une action existaient, une phrase claire et objective suffisait pour les expliquer. On pouvait utiliser des mots complexes et un langage soutenu sans pour autant s'inventer un soi-disant style et citer des phrases sans queue ni tête. La poésie existait dans la simplicité.
Vous l'aurez compris, Adeline Marceau était une femme artiste avec un style assez particulier. Tout devait être clair, soigné. Chaque chose avait une place et devait s'y tenir rangée. Ces pensées se lisaient parfaitement sur elle. En plus de dégager une aura inflexible, elle abordait une apparence des plus carrées. Adeline aimait le classique, les chemises blanches repassées, les pantalons en velours soigneusement pliés, et son petit plaisir caché, la lingerie en dentelle. Cela faisait d'elle, une femme divinement sensuelle, mais-car son honneur et ses valeurs le lui obligeaient-cela serait réservé à sa propre personne. En effet, Adeline ressentait un profond dégoût envers les relations charnelles. Comme à son habitude, elle ne comprenait point comment autrui pouvait prendre du plaisir à se dénuder et à se faire toucher-voire brusquer dans les pensées de notre jeune amie-par une autre personne. Par ce fait même, elle avait toujours repoussé ses prétendants et rejeté la notion d'amour, ce qui est le comble d'un poète.
Et Adeline se demandait pourquoi ses écrits ne plaisaient pas.
Elle avait du faire toutes les maisons d'édition de sa ville. Toutes, sans exceptions. Présenter à chacune toutes sortes d'écrits, dont elle n'était que très fière à chaque fois. Au total, elle avait écrit deux romans, une nouvelle, des vingtaines de poèmes dont elle en avait fait un recueil et une pièce de théâtre. Et toutes ses oeuvres, elle les avaient présenter à six maisons d'édition différentes, passant des plus prestigieuses, à celles pour enfants, puis à celles indépendantes, pour finir par la moins cottée de la région entière. Toutes l'avaient rejetées chacune à leur tour pour la même raison. Les écrits d'Adeline manqués d'émotions, ils ne vendaient pas du rêve. La maison d'édition la moins cottée de la région s'était même permise d'ajouter que ces oeuvres étaient fades et sans saveurs, que ce n'était pas de la littérature. Imaginez donc Adeline sortant furieuse du bureau, claquant la porte brusquement, sa chemise froissée et son chignon menaçant de s'écrouler à chaque instant. Comment pouvait-on remettre son talent en question ? Elle aurait tellement aimé vivre à la période du classicisme, pouvoir discuter des mots et de leur importance avec Racine, Molière, Lully et les plus grands. Mais voilà qu'elle se retrouvait entourée d'abrutis, qui osaient se déclarer fins connaisseurs de la littérature ! Dans quel monde vivait-elle ? Pauvre Adeline Marceau.
Mais ce serait mal la connaître de penser qu'elle abandonnerait. Elle avait des émotions et elle le prouverait par ses écrits, par ses mots, par ses syllabes, par ses lettres. Et ce fut à cause de cela, qu'Adeline Marceau se trouvait à l'instant même dans un café, avenue Philipe-Auguste à Paris, épiant les gens et les paysages, notant dans son cahier la neige qui commençait à fondre et les traces boueuses qui se formaient à l'extérieur.
Et un oiseau passa devant la baie vitrée du café. Il avait la tête baissée, et trainait ses pattes. Dans la neige derrière lui se dressaient de légères empreintes, si fines qu'à peine une seconde plus tard, elles avaient déjà disparues sous le poids d'un flocon. Adeline en fut ébahie, elle nota "mélancolie".
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Le temps d'un regard
RomanceL'histoire d'une écrivaine qui ne ressentait rien. Ou presque.