Pour elles

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Rennes, Décembre 2017. La neige tombait drue dehors. Elle recouvrait à présent les trottoirs, les voitures. La circulation était ralentie, les klaxons retentissaient. Les passants marchaient d'un pas pressé avec comme unique but de rentrer chez eux au plus vite, se mettre au chaud, retrouver leur famille. Gabriel, lui, se sentait bien par ce temps. Il aimait l'esprit de Noël qu'annonçait cette neige, toutes les décorations dans les rues illuminaient ses journées. Assis à la table d'une petite brasserie, il déjeunait avec sa femme, Emilie, et leur adorable fille, Julie. Agée de seulement 10 ans, son père savait déjà qu'elle en charmerait plus d'un : comment pouvait-il en être autrement ? Elle avait de magnifiques yeux bleus, les mêmes que ceux de sa femme, et des cheveux, d'un blond éclatant, qui lui tombaient dans le dos. Gabriel se savait être l'homme le mieux accompagné de cette brasserie, pourtant pleine à craquer. La joyeuse famille discutait avec engouement. Ils étaient heureux, personne n'aurait pu en douter. On était à une semaine des vacances scolaires et Gabriel se rappela qu'il était peut-être temps pour lui d'acheter les cadeaux pour sa fille. Pour Emilie, il avait déjà trouvé ce magnifique pendentif, aperçu à plusieurs reprises en allant travailler. C'était une simple clé en or, ornée de petits diamants. Il savait qu'elle comprendrait tout de suite la référence, évidemment ! c'était le symbole de leur première rencontre, 15 ans auparavant. Elle avait justement eu lieu un 24 décembre au soir. Emilie s'était retrouvée coincée dehors, après s'être fait voler son sac à main. Elle se réfugia donc dans un bar, pour se protéger du froid. Gabriel était là lui aussi. Il ne put s'empêcher de lui proposer son aide : il pouvait l'héberger, juste pour ce soir. Emilie, sans doute par dépit, ne put refuser. Ce fut le début d'une belle et longue histoire d'amour fusionnelle...

Un bruit sourd sortit Gabriel de ses pensées. Un bruit qui ne lui était pas inconnu. Celui d'une arme à feu. Un automatique. Des cris fusèrent alors, venant de toute la brasserie. Gabriel n'eut qu'à peine le temps de penser à sa fille, à sa femme, qu'il fut projeté au sol par un des nouveaux arrivants. Il prit le temps de regarder autour de lui, d'analyser la situation au mieux. C'est ce qu'il savait faire, il avait été formé pour cela. Seulement cette fois, il était lui-même impliqué. Lui et sa famille. Il put compter trois individus. Vu leur corpulence, il pencha pour des hommes, mais les cagoules l'empêchaient de distinguer le moindre signe identifiable. Emilie et Julie étaient juste en face de lui, serrées l'une contre l'autre, tremblantes. Gabriel voulut se déplacer, les rejoindre, leur promettre que tout irait bien, mais il craignait que les agresseurs ne le remarquent et s'énervent. Il lui était quasiment impossible de se concentrer. A présent, tous les clients du restaurant étaient couchés, face contre terre. Deux des assaillants braquaient ces pauvres gens de leur arme, pour s'assurer que nul n'essaierait de jouer les héros, tandis que le dernier menaçait le gérant pour qu'il vide sa caisse. Gabriel, après mûre réflexion, se décida à rester passif : même si les trois inconnus semblaient particulièrement stressés, ils paraissaient capables de se contrôler. Malheureusement, tout le monde n'eut pas la sagesse de Gabriel. Un homme, à quelques tables seulement de la famille, se rua sur un des deux hommes. La première balle fut alors tirée. L'homme s'écroula, une tâche rouge grandissante sur sa poitrine. Gabriel ne put rester passif devant cette scène, alors que tous les clients criaient de plus belle. Emilie comprit l'intention de son mari. D'un regard, elle le pria de rester couché, mais il ne put s'y résigner. Il se leva, les mains bien en évidence. Les trois hommes, sur le qui-vive à présent, le braquèrent immédiatement. De la voix la plus calme possible, mais tout de même assurée, il s'adressa aux assaillants. « Vous avez déjà fait une victime, je sais que vous ne souhaitiez faire de mal à personne, mais c'est trop tard à présent. Je vous conseille donc de partir, sur-le-champ. La police a forcément été alertée par les coups de feu, elle ne devrait plus tarder. Ne manquez pas votre chance, dans quelques minutes, vous ne pourrez plus vous échapper. Alors s'il vous plaît, partez. Toutes ces personnes sont innocentes, vous... » Avant qu'il n'ait le temps de finir sa phrase, une femme, prise de panique, se leva et courut vers la sortie. Un coup de feu retentit, atteignant sa cible en pleine tête. Le sang qui gicle ! Le son qui résonne encore dans les têtes. La vision de cette pauvre femme, gisante au sol. Reprenant ses esprits, Gabriel dégaina son arme de service et abattit l'homme qui venait de tirer. Emilie se leva alors, par instinct de protection pour son mari et Gabriel ne put rien faire pour éviter à sa femme de recevoir la prochaine balle. Immédiatement, Il lâcha son arme et tenta de soutenir sa bien-aimée avant qu'elle ne s'écroule. Julie se rua sur eux, le visage déjà empli de larmes. Il appuya fermement sur la plaie qui trouait le ventre d'Emilie, agonisante. Seuls les sanglots couvraient à présent le silence morbide qui régnait autour de Gabriel. Alors qu'il pleurait, ne pouvant ignorer les râles de douleur de sa femme, il ne vit que trop tard qu'un des braqueurs s'avançait vers lui. Il fut saisit par le col et l'homme lui braqua son pistolet sous la gorge. D'une voix rauque et calme, il lui déclara : « Ecoutes-moi bien sale flic, on prend la jolie blonde avec nous. C'est ta fille non ? Elle est mignonne... Si tu essaies quoi que ce soit, ou si je vois une seule voiture de police nous suivre, je peux te jurer que je lui fais exploser la cervelle, et je t'assure que ce ne sera pas beau à voir. Reste auprès de ta femme, il ne faudrait pas que tu manques son dernier souffle. Si tu restes sage, on relâchera ta fille une fois en sécurité. ». Gabriel voulut se relever, protester, tandis que l'autre agrippa violemment Julie et la traîna vers l'extérieur. Elle pleurait, criait, appelait son père à l'aide. Sans se poser plus de questions, il fonça vers sa fille, oubliant les risques qu'il encourait. Il ne pensait qu'à Julie : elle n'avait que 10 ans et était terrorisée. Il ne pouvait la laisser entre les mains de ces brutes. Celui qui l'avait menacé quelques secondes auparavant réagit instantanément et lui tira dessus. La douleur fut si vive que ses jambes ne parvinrent pas à le soutenir. Son épaule droite fut traversée par la balle et le sang imbiba rapidement sa chemise blanche. Mais ce n'était pas suffisant pour l'arrêter. Il s'agissait de sa fille, il était prêt à mourir pour elle. Comprenant qu'il poserait un problème, le tireur, toujours derrière Gabriel, lui asséna un violent coup de crosse sur le crâne. Le père de famille s'écroula à nouveau, complètement sonné. C'est d'une image floutée qu'il vit les deux agresseurs partir par la porte de devant, traînant Julie qui ne cessait de l'appeler à l'aide, à s'en briser les cordes vocales. Gabriel rampa, tenta de se remettre sur ses jambes, mais ne parvint pas à tenir debout. Certains clients partirent en courant de la brasserie, d'autres pleuraient encore, la tête entre leurs mains. Un jeune couple vint aider Gabriel qui, dans un soupir, demanda qu'on l'amène auprès de sa femme. Non sans difficultés, ils l'aidèrent à se traîner auprès d'elle. Les larmes inondaient leur visage. Ils se regardèrent dans les yeux. Tout l'amour du monde les emplissait. Ces yeux bleus... Gabriel savait que, bientôt, il ne pourrait plus les contempler. Les paupières d'Emilie se fermaient peu à peu : elle luttait pour garder les yeux ouverts, pour admirer quelques secondes de plus le magnifique visage de sa moitié. Sa mâchoire dessinée, ses lèvres fines, sa barbe de trois jours, grisonnantes. Son nez, ses pommettes, ses yeux d'un brun profond. Les quelques rides qui apparaissaient déjà. Ses cheveux, bruns, trop courts à son goût : depuis toujours, elle le suppliait de les laisser pousser, qu'ils retrouvent leur longueur d'avant. C'est ce côté « cheveux en bataille » qui lui avait plu la première fois qu'elle le rencontra. Et maintenant, elle ne le reverrait plus jamais. Ses forces la quittaient doucement. Elle attrapa la main de Gabriel et dans un dernier effort, la serra. Gabriel l'embrassa tendrement mais avec passion. Il sentit qu'Emilie lui rendit son baiser.

Recueil De NouvellesWhere stories live. Discover now