Jamais je n'avais pensé vivre cela un jour, d'habitude, ça n'arrive qu'aux autres non? Ce n'est pas ce que les familles des victimes disent dans les reportages? Un ensemble de phrases bateaux du type "jamais nous n'aurions pu croire que ça arriverait chez nous" ou "il était si normal". Si seulement..
Ma petite soeur a été enlevée le jour de mon treizième anniversaire. Je la vois encore tirer avec véracité sur le papier qui dissimulait mes cadeaux. Maman l'avait forcée à enfiler cette robe immonde à manches bouffantes et l'avait coiffée de deux couettes de petite pestes agrémentées d'un serre-tête ridicule. Elle était toujours pleine d'énergie à l'époque, un caractère autoritaire comme on en a rarement vu. C'était une fillette de 8 ans insupportable au possible, tout ce qu'il y a de plus banal.
A cette époque je ne l'aimais pas beaucoup. Ce qui m'énervait le plus à son propos c'était surtout cette adoration qu'elle provoquait chez les gens, une sorte de fascination morbide pour la petite créature étrange et toute bout-en-train qu'elle était. Toute la famille disait que c'était mon portrait craché, qu'une fois adultes on ne saurait dissocier la grande soeur de la petite. De grands yeux bleus, cheveux ondulés, bouche en coeur, nez retroussé, tâches de rousseurs... Nous étions comme deux clones nées à 5 ans d'intervalles. Cela les faisait rire, mais moi pas du tout. Je voulais être unique, être la seule beauté de la famille, la seule que l'on pourrait cajoler..
Ce soir là j'avais prévu de me faire la-malle pour aller fêter tranquillement mon anniversaire au lac avec mes amis -dont notamment le garçon dont j'étais follement amoureuse-. Mes parents ne m'ayant pas donné leur accord -pour changer- j'avais mis au point tout un stratagème pour m'évader tranquillement de ma chambre une fois qu'ils se seraient endormis.
Seulement, une fois prête à partir, elle avait déboulé dans ma chambre son doudou à la main en se frottant les yeux, souhaitant une fois de plus dormir dans mon lit. On avait l'habitude de dormir toutes les deux, c'était comme ça plusieurs fois par semaine. Papa et maman disaient qu'elle voulait dormir avec moi parce qu'elle m'admirait et que je devais justement en être fière. Je ne l'étais pas, du tout, mais je laissais faire, pour avoir la paix sans doute.
" - tu t'en vas, m'avait-elle demandé en baillant à gorge déployée sur le pas de ma porte.
- t'occupes, retourne dans ta chambre.
- mais_
- _retourne dans ta chambre j'ai dit, avais-je répété en fourrant grossièrement mon maillot de bain et une serviette dans mon sac, en prévision d'un bain de minuit.
- Maude..."
Elle m'avait regardée de ses petits yeux embués de larmes, et même si elle m'agaçait grandement, je n'ai pu m'empêcher d'avoir de la peine pour elle. Vaincue, je me suis mise à souffler un grand coup avant de la prendre par la taille et de la mettre dans mon lit.
" - surtout, pas un mot à papa et maman t'entends, l'avais-je avertie en rabattant ma couverture sur ses pieds froids.
- pas un mot de quoi?
- je vais au lac, normalement je serai rentrée avant qu'ils ne se réveillent, mais si jamais dis leur que je suis partie acheter les croissants ou une connerie dans le genre.
- mais ce serait mentir...
- promets le moi.
- Maude je_
- promets.
- je_ promis, je ne dirai rien.
- bon toutou, lui lançais-je en lui tapotant le haut du crâne tel un chien. "
Puis je suis partie en sortant par la fenêtre de ma chambre, la refermant de moitié pour quand je devrais rentrer. Je me souviens avoir lancé un dernier regard à l'attention de ma petite soeur, qui s'était alors enfoncé la tête sous mon oreiller, avant de m'enfoncer dans la foret rejoindre mes amis.
C'est la dernière fois que je l'ai vue.
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Seize
General FictionJe serrai dans mes bras ce corps qui me semblait si frêle, le secouant par moments pour tenter de garder cette jeune fille éveillée. Je vis son visage noirci par la crasse se tourner un moment vers moi, faisant chuter de longues boucles auburn sur...