Chapitre 5

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Je n'ai jamais cru prétendre à la normalité. Les paroles de Khephren sonnent comme un écho à mes propres pensées, celles que je ne partage avec personne. Sauf avec Chris mais lui semble moins réceptif à ce concept si abstrait qui me pourrit pourtant bien la vie. Mon compagnon de voyage continue d'enserrer mes doigts entre les siens. Cette sensation me fait du bien, même si j'ai du mal à me confier sur le sujet. Après tout, je le connais depuis quelques heures seulement mais j'ai la sensation qu'on partage davantage de choses lui et moi qu'avec certains autres. Peut-être même Valentine et Sofia.

— Depuis quand sais-tu que tu es... enfin, tu vois ce que je veux dire ?

— Depuis ma naissance. Dans ma famille, la magie n'est pas un tabou. Nous vivons avec elle au quotidien. Mes parents pratiquaient déjà la magie quand j'étais petit.

— Je vois.

Je constate que Chris et moi ignorons tous de la magie, de la sorcellerie, peu importe son nom. Nous avons tâtonné, essayé, fait des recherches sur le net mais sans réellement comprendre le pourquoi du comment. Jusqu'à il y a quelques instants, j'étais persuadée que nous étions seuls. Et voilà que j'apprends à présent que nous sommes sans doute plus nombreux que je ne l'aurais cru.

— Combien sommes-nous ?

— Je l'ignore. Des millions sans doute. Tu ne sais rien du tout au sujet de la magie alors ? Vraiment ?

— Oui, vraiment. Pourquoi, ça parait à ce point invraisemblable ?

— Un peu, oui. Tes parents n'ont jamais rien...

— Mes parents, des sorciers ? J'en doute. Ils sont trop cartésiens pour l'être, honnêtement. Et je crois que non, ils n'en sont pas. À moins qu'ils nous cachent d'autres choses encore, dis-je, amère.

— Sujet délicat.

Je grogne en guise de réponse. Je ne suis pas certaine de vouloir basculer sur ce terrain. À la base, je m'étais dit que je ne risquais rien en lui donnant des informations. Je me suis bien écartée de ma ligne de conduite.

— Du coup, je ne suis plus sûr que se filer des tuyaux sur nous soit une bonne idée.

— Pour être honnête, ces choses que je t'ai dites, je ne les ai partagées avec personne d'autre. C'est une grande première. Je ne suis pas du genre à me confier, comme tu as pu le constater.

Khephren me serre toujours les doigts. Je les laisse justement s'entremêler aux siens. Que dois-je en penser ? Est-ce un signe qu'il veut autre chose ?

— J'ai une question. Comment as-tu deviné que je... enfin, que je suis une sorcière ? dis-je en chuchotant encore plus bas.

— C'est mon don. Je peux détecter les sorciers de mon entourage. Avant même que leurs pouvoirs se révèlent.

Sans le vouloir, je lui tords les doigts. Il prend ça pour un encouragement à reprendre. Je l'écoute sans dire un mot et je commence à comprendre certains changements qui se sont opérés en moi et mon frère depuis nos quinze ans. Jusque-là, jamais réellement nous n'avions démontré des aptitudes magiques mais il est vrai qu'à partir de cet âge, nos pouvoirs se sont révélés. Qui ne côtoie pas la magie à la naissance ne peut espérer la maîtriser pleinement sans l'appui d'un maître-sorcier. En l'occurrence, dans notre cas, si nos parents biologiques étaient eux aussi des sorciers, nous n'en avons jamais rien su. Ainsi, nous avons suivi la voie classique : l'apparition de nos pouvoirs à l'âge de la maturité magique. Ensuite, sans l'aide de quelqu'un, pas de possibilité de développer ses pouvoirs. Tout au mieux peut-on faire quelques sorts comme Chris et moi : ouvrir la porte, la fermer, se servir à manger et à boire, provoquer une chute mais rien de bien grandiose en soi.

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