Deuxième partie

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A mon réveil, j'ai un peu de mal à me souvenir des événements précédant mon évanouissement. Tout est confus, comme si j'avais dormi pendant des siècles.

De plus, je ressens un petit pincement à la poitrine à chaque fois que j'inspire.

—Tu t'es enfin réveillé, Sakakibara.

Mon cœur rate un battement. A ma droite, Mei est assise sur une chaise et m'observe. Son visage exprime la joie mais aussi le soulagement. Quand je la vois, tout ce qui s'est passé auparavant me revient en mémoire.

—Mei... tu... tu m'as dit que j'étais...

—Calme-toi, me dit-elle de sa voix enfantine en s'approchant de moi. Tout va bien, maintenant.

Et là, elle fait ce qu'elle n'avait encore jamais fait depuis que nous nous connaissons : elle prend ma main.

Pour la deuxième fois, mon cœur rate un battement. Mais cette-fois, c'est pour une toute autre raison.

—Où... où sommes-nous ? lui demandé-je.

S'étant assuré que je vais bien, elle lâche ma main et retourne s'asseoir. Dès qu'elle le fait, je suis saisi de l'envie de lui dire de la prendre à nouveau, mais je m'en abstiens.

—Dans un hôpital, répond-elle. Nous y sommes venus dans une ambulance, depuis le musée.

—Quand ?

—Hier.

—Hier ? dis-je, surpris.

—Oui.

Il s'est donc écoulé un jour depuis que j'ai perdu connaissance...

—Tu sais ce qu'il m'est arrivé ?

—D'après le docteur qui t'a ausculté, tu as fait une rechute, dit Mei.

—Une rechute ? Tu veux dire que...

—Oui, la même maladie pour laquelle on t'a hospitalisé quand tu étais encore à Yomiyama. Je lui ai expliqué que tu avais déjà souffert de violents maux à la poitrine dans le passé...

—Le pneumothorax, dis-je quand je me rends compte qu'elle semble chercher le mot.

—Oui, c'est ça, dit-elle avec un hochement de tête. Je l'ai aussi informé que tu avais dû subir une opération pour régler ce problème.

—Je vois...

En effet, on a dû m'opérer de toute urgence. Et cela s'est produit juste après... juste après ce qui s'est passé avec ma sœur, Reiko...

—Sait-il pourquoi j'ai fait une rechute ? interrogé-je Mei, bien que je croie déjà connaitre la réponse.

Son hochement de tête de la gauche vers la droite me le confirme.

—Mais toi tu le sais, n'est-ce pas... ?

Mei garde ses yeux fixés sur moi pendant un long moment, sans rien dire. Puis, elle soupire :

—Ça ne t'a pas semblé bizarre quand je t'ai soudain appelé après tout ce temps pour te dire que je voulais venir à Tokyo ?

L'appel auquel elle fait allusion remonte à trois jours plus tôt. Vers 5h du matin, elle m'a réveillé pour m'annoncer qu'elle me rejoindrait à Tokyo le jour suivant. Je suis resté sous le choc, non seulement parce qu'elle m'a appelé en se servant de son téléphone portable — objet qu'elle déteste — mais aussi parce qu'elle l'a fait à une heure totalement insolite.

La bouche pâteuse, je lui ai répondu que rien ne me ferait plus plaisir. Et c'était vrai. Par le passé, j'avais tenté plusieurs fois de lui rappeler la promesse que je lui avais faite de l'emmener visiter des musées à Tokyo, mais elle n'avait pas semblé être très enthousiaste.

Par conséquent, son appel a été une bonne surprise.

De plus, il est tombé au bon moment car mon père avait voyagé la veille. Il est reparti en Inde pour son travail. J'ai donc l'appartement pour moi tout seul.

—Si, lui réponds-je. Mais je ne vois pas où est le lien...

—C'est simple. Ce jour-là, j'ai fait un cauchemar terrible... où tu mourrais brusquement.

Il me faut plusieurs secondes pour encaisser le choc.

—Vraiment... ? dis-je quand je retrouve l'usage de la parole.

—Oui, dit Mei. Tu étais chez toi et soudain tu avais une crise ou je-ne-sais quoi et tu tombais raide mort. Dans le rêve, j'ai eu beau crier, te secouer, tu ne te réveillais pas. 

Elle fait une pause, se lève et va se placer devant la fenêtre. Le jour décline peu à peu, teintant le ciel d'une couleur orangée. La nuit ne va plus tarder à tomber.

—Si je suis venue, continue Mei, c'est pour te voir, oui, mais surtout pour faire en sorte que ce rêve ne se réalise pas.

—C'est la raison pour laquelle tu as enlevé ton cache-œil au musée ? Pour vérifier si tu pouvais voir la couleur de la mort ?

—Oui, dit Mei d'une petite voix.

Tout s'explique à présent. Son comportement étrange (plus étrange que d'habitude) lorsque nous étions au musée, les questions qu'elle m'a posées...

Pourtant, il y a encore quelque chose qui me taraude.

—Mais comment peux-tu savoir que je suis maintenant hors de danger ?

Comme si elle avait attendu ce signal, Mei se retourne vers moi.

—Je l'ai déjà vérifié tout à l'heure pendant que tu étais inconscient, mais juste pour être sûre...

Une fois de plus, elle ôte son bandeau. Son « œil de poupée », bleu et clair, me dévisage.

—Tu es hors de danger, Sakakibara. La couleur de la mort sur toi a disparu.

Je ressens aussitôt un profond soulagement. Mais il est de courte durée, car la seconde d'après une pensée s'immisce en moi :

—Mais... elle reviendra, n'est-ce pas... ? 

Mei hésite quelques instants, puis elle sourit. Mais c'est un sourire de résignation. Un sourire qui semble dire : « Elle viendra sur nous tous. Tu n'es pas le seul. Nul n'y échappera. »

—Oui, un jour..., dit-elle finalement.

Un jour...

À quelle distance dans l'avenir se situe donc ce jour ?


FIN

RelapseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant