Nouveau départ

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Le lendemain, comme promis nous partîmes pour l'Angleterre. Nous prîmes d'abord la voiture en direction de Bacão, où un avion nous attendait. J'étais toute excitée, c'était la première fois que je prenais l'avion. Cette sensation de liberté et d'extase au moment du décollage était incomparable. J'étais épuisée par le trajet. Je me souviens avoir fermé mes yeux à plusieurs reprises.

À chaque fois je revoyais le visage de Moa, qui m'avait souri ce matin-là,et l'instant d'après il se transformait en un visage indéfinissable,ses yeux étaient remplacés par deux billes où se mélangeaient les couleurs noires, jaunes et blanches. Sa bouche n'avait plus rien d'humain, et elle riait, un rire enfantin que j'aurais pu associer à ma petite sœur. S'il n'avait pas émané de cette chose qui se tenait devant moi. L'instant d'après je me réveillai ; tout le monde à bord était assoupi, et je me blottis contre mon père. Ce sentiment de sécurité était apaisant, et je me rendormis, pour que tout recommence.

Après plusieurs heures de vol interminables, nous étions enfin arrivés à destination. Un taxi à la couleur étonnante nous emmena à notre nouveau chez nous. C'était une grande maison, trop grande pour trois personnes. C'est comme ça que débuta notre nouvelle vie. Les année passèrent.

C'est au matin du dixième anniversaire de la disparition de Moa, que les événements prirent une tournure décisive. J'étais en deuxième année de parapsychologie. Ce goût pour le paranormal m'était venu de l'envie de savoir ce qui était arrivé à ma sœur ; une certitude s'était présentée à moi au fil des années: la disparition de Moa n'avait rien de naturel. Mais jamais, je n'aurais cru que la réponse me serait venue aussi rapidement. Donc, ce matin-là,alors que je me dirigeais vers la salle de bain de mon petit deux pièces - que j'avais trouvé en plein cœur de Londres -je sentis une impression de froid dans mon dos.

Quand je me retourna, je ne vis rien d'autre que le vide. J'entendis tout d'un coup un rire, reconnaissable entre mille pour l'avoir entendu tant de fois lors de nos folles parties de cache-cache dans la forêt. Moa était là. Je me mis à murmurer son prénom. Le rire ne s'arrêtait pas. La brume envahit mon appartement. Déjà que le chauffage ne marchait pas très bien en temps normal, j'avais encore plus froid que d'habitude. Je claquais des dents de froid ou de peur,peut-être. Je ne pouvais pas m'en empêcher. La brume se regroupa,en une silhouette, celle d'une petite fille, ma sœur. C'était impossible, je ne comprenais pas ce qui se passait. Un visage se forma au cœur de cette masse sombre. Le visage de Moa qui me sourit.Sa bouche s'ouvrit : « Mari, je me sens seule ». C'était elle, Moa était là devant moi. Je ne pouvais pas bouger. La peur avait disparu, c'était un sentiment tout autre qui me tenait immobile. Je réussis à tendre la main vers elle, elle me dit : « Rejoins-moi Mari, aide-moi,j'ai peur ».

Elle tendit sa main, à son tour, et nous nous touchèrent, paume contre paume. Une vague de chaleur m'envahit brusquement. Elle devint peu à peu étouffante, mes jambes cédèrent, je tombai à terre. L'ombre qui entourait ma sœur, se dissipa peu à peu. Elle prit dix ans en quelques instants, je ne la reconnaissais plus. « Moa? »prononçai-je en un souffle presque inaudible. Elle s'accroupit auprès de moi.Elle me sourit et dit : « Oui Mari,c'est bien moi, tu m'as tellement manqué, je t'ai cherchée pendant tellement longtemps, maintenant nous ne serons plus jamais séparées ».Elle me prit dans ses bras. Mes yeux se fermèrent. J'entendis la voix de Moa, sa vraie voix, la voix de mes souvenirs, de ce souvenir d'été.Elle disait : « Souviens-toi »et je me souvins.

Je fus comme transportée jusqu'à ce funeste jour . Comme dans mes souvenirs, tout était exactement à sa place; la pluie qui s'écrasait sur le sol,l'odeur de l'humidité et du bois, ce sentiment de froid brûlant et cette peur qui ne me quittait pas. Un cri retentit, un mot se forma dans mon esprit, Moa. Je courais dans sa direction, me dirigeais grâce à ses pleurs. Ce n'était pas comme dans mes souvenirs, mais je continuais à courir vers ma sœur.Je la trouvai, adossée contre un arbre, mais elle n'était pas seule. Un homme vêtu d'un grand manteau sombre se trouvait près d'elle.

Il semblait parler à ma sœur mais je ne comprenais pas ce qu'il disait. Il s'approcha d'elle. Elle était effrayée. Je voulus crier,l'empêcher de partir avec Moa, mais j'étais immobile. Un murmures'échappa de ma bouche. L'inconnu se retourna vers moi. Son visage n'avait rien d'humain, ses yeux étaient aussi rouges que du sang et son teint était tellement blanc que j'aurais pu dire qu'il était mort. Il sourit, ses dents étaient aussi pointues que des couteaux.Il était à un mètre de ma sœur. En un éclair, il se trouva juste devant moi. Ses yeux me scrutaient comme si j'étais une curiosité de la nature, une onde glacée me traversa alors. Je reculai de peur,trébuchai sur une branche morte, qui n'était pas là quelques minutes avant.

J'étais à terre, l'homme était maintenant revenu auprès de ma sœur, elle criait mon nom, pleurait, elle était terrorisée. Je voulus me redresser mais le froid m'envahissait peu à peu, avant que me yeux se ferment, je vis l'homme poser ses mains sur le cœur de ma sœur,et celle-ci se transforma en une masse d'ombre.

Je rouvris les yeux dans mon appartement. Moa devant moi, me regardait,son apparence était maintenant identique à celle de l'homme de la forêt. Une larme de sang coula le long de sa joue,elle l'essuya d'un revers de manche sans se soucier de sa provenance.Elle dit finalement :

«Je ne veux pas te perdre, tu es tout ce qui me reste de mon humanité, rejoins-moi, et nous serons enfin ensemble pour l'éternité».Je ne savais pas quoi faire, mais je savais une chose, Même si Moa était morte dans cette forêt, elle restait toujours ma soeur. Une évidence s'est alors présentée à moi. Je savais ce que je devais faire. Moa comprit elle aussi grâce à mon sourire à quoi je pensais.

Silencieuse,elle apposa ses mains sur mon cœur et je sentis une sorte de sensation de flottement. J'entendis la voix de Moa dans ma tête,elle disait : « Par ta mort, tu renais, tu commences une nouvelle vie, qui, elle, durera l'éternité, une vie de Miorita ».

Une vague de souvenir m'assaillit alors. Et je compris alors. Nos ancêtres avaient pactisé avec la mort. Les mioritas devait vouer leur éternité au service de celui qui leur avait accordé l'immortalité.

Aucune femme de notre famille n'avait échappé à ce pacte. Hormis notre mère qui avait été protégée dès sa naissance par un sceau apposé par sa propre mère, notre grand-mère. Mais nous devions honorer le pacte. J'appris par la suite que notre mère avait fait un choix, elle ne pouvait protéger qu'une seule de ses filles, elle fit ce choix. Et je fit le mien. Les filles Mélidia étaient les descendantes humaines des Miorita, elle ne pouvait pas échapper longtemps à leur destin.

Je peux enfin l'avouer après un siècle de silence. Ce secret m'étouffe, je peux enfin le dévoiler. Je m'appelle Maria Melidia,j'ai dix-neuf ans depuis un siècle, je suis une Miorita. C'est mon secret, ma vie, mon héritage et j'ai le devoir de le préserver.

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⏰ Last updated: May 10, 2019 ⏰

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Moa et moiWhere stories live. Discover now