Regret

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-Si le monde devait s'arrêter de tourner, disons demain, avec qui aimeriez-vous passer votre dernière journée ?

En se penchant un peu en arrière, Shikamaru posa son crayon sur sa lèvre retroussée, tenant le bout de bois en équilibre dessus. Les leçons de son professeur ne l'intéressaient guère, surtout s'il s'agissait d'une rédaction. En général, il écrivait toujours la même chose dans son devoir, si bien qu'il se demandait si les profs le lisaient vraiment. Cela l'importait peu.

-La fin du monde, c'est pas pour demain moi je vous le dis !

Son crayon tomba, et il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule. Naruto, les bras croisés derrière la tête, lui fit un sourire idiot, auquel le Nara répondit par un petit sourire. Si ça avait été quelqu'un d'autre, il aurait détourné le regard, mais l'Uzumaki avait le don de vous mettre de bonne humeur avec peu de choses. Pour être franc, il doutait de devenir un jour son ami, mais il devait reconnaître que c'était quelqu'un de sympa.

-Imaginez par exemple...que la lune vienne s'écraser sur la Terre.

La lune ? Sur la Terre ? Une telle chose ne risquait pas d'arriver. Mais après tout, avec les shinobis puissants qui parcouraient le monde, est-ce que l'un d'entre eux pouvait posséder un chakra si puissant que l'astre lunaire en serait aspiré vers la Terre ? Même si cela arrivait, il y avait peu de chance que ça arrive sur le village de Konoha, et la lune est bien trop petite pour toucher toute la Terre. Enfin, en théorie, mais et si elle se brisait en des millions de morceaux qui causaient de terribles explosions ? Ils ne seraient en sécurité nulle part. Et si elle arrivait finalement sur le pays du feu ?

-Quitte à périr dans une catastrophe, je préférerais que ce soit un gros morceau de barbaque qui nous tombe dessus !

Les rires de ses camarades sortirent Shikamaru de ses pensées, et il soupira. Choji, il a toujours eu le don incroyable de sortir des réponses hors du commun aux questions de leurs professeurs, ce qui détendait leurs camarades de classe. Ce n'était pas un mauvais garçon, mais il était naïf et gentil, et Shikamaru le trouvait de compagnie agréable.

-Écrivez sur votre feuille le nom de la personne avec qui vous aimeriez passer votre dernier jour.

Immédiatement, le silence s'installa, seulement brisé par les quelques bruits de feuilles et de crayon grattant le papier. En faisant la moue, Shikamaru ramassa son crayon et observa sa petite feuille. Il devait écrire un nom là-dessus, un seul, celui de la personne avec qui il voudrait passer son dernier jour sur cette Terre. A son âge, qui pourrait-on bien mettre ? Tous ses camarades devaient sûrement mettre le nom de leur meilleur ami, ou de leur amoureuse. Il n'avait pas encore assez avancé dans sa vie pour savoir avec qui il aimerait passer ses derniers instants, la réponse allait changer durant les années à venir. S'il se mariait, et s'il avait des enfants dans le futur, c'est leur nom à eux qu'il allait mettre. Mais à l'heure actuelle...

-Qu'est-ce que tu fais, Naruto ?! Pourquoi as-tu jeté ta feuille ?!
-J'y arrives pas ! Je n'y crois pas une seconde, moi, à votre fin du monde !
-Je ne te demande pas d'y croire, je te demande de l'imaginer.
-Mais ça n'arrivera pas, je vous dis !

C'est vrai ça, qu'est-ce qui pourrait lui assurer qu'il serait encore en vie le jour où la fin de monde arrivera ? Le monde des ninjas est si dangereux, et il avait tellement la flemme. Quel est son véritable avenir ? Avec qui aura-t-il toujours un lien fort, quoi qu'il arrive ? Il regarda Naruto, qui marmonnait en se faisant sermonner par Iruka-sensei, puis il se reconcentra sur sa feuille. D'une main déterminée, il inscrivit un nom et plia proprement sa feuille. Iruka déclara ensuite la fin du cours, et il rentra chez lui, le cours déjà oublié dans un coin de son cerveau pour un autre jour.

***

-C'est très gentil à toi d'avoir accepté de venir m'aider à trier ces cartons, Temari !
-Je vous en prie, Madame Nara.

Avec un sourire, Yoshino conduisit sa belle-fille dans le grenier de la vieille maison, où s'entassait tout un tas de cartons. La matriarche du clan Nara voulait faire un peu de tri, et Temari avait profité que son époux était au travail et son fils à l'école pour proposer son aide. Les deux femmes commencèrent le tri, lorsque la blonde tomba sur une étrange boîte.

-Madame Nara, qu'est-ce que c'est ?
-Hein ? Oh, ça ! Je ne pensais pas qu'on la trouverait ici !

Elle s'approcha et prit délicatement la petite boîte. Elle retira le couvercle et dévoila tout un tas de petits trésors.

-Dans cette boîte, j'ai rangé toutes les petites choses que Shikamaru a fait à l'école.
-Ils faisaient de drôles de choses, à l'Académie. Nous n'avions pas ça à Suna.
-Il n'était pas franchement fan des travaux manuels, c'est dommage, il ramenait toujours de jolies choses.

Elle remua un peu la boîte, et un étrange papier apparut. Temari voulut s'en saisir, mais Yoshino remit rapidement le couvercle sur la boîte, qu'elle tendit ensuite à la blonde.

-Tu devrais regarder ça avec Shikamaru ce soir.
-S'il rentre à la maison, railla-t-elle en prenant la boîte.
-Allez savoir avec les hommes.

Elles rirent et se remirent vite au travail. Elles avancèrent vite et efficacement, et en fin d'après-midi, Temari put rentrer chez elle. Elle fut surprise de découvrir son mari, assis sur le canapé, qui terminait un dossier qui semblait assez important. Il ne l'entendit même pas arriver.

-Shikamaru, je ne pensais pas te voir à la maison ce soir.
-Oh, Temari ! J'ai bien travaillé alors on m'a laissé finir ce dossier chez moi.
-Quand tu rentres, c'est pour travailler. Tu vas finir par tomber d'épuisement, mon pauvre !
-Au moins, j'aurais une belle infirmière à la maison.
-Idiot.

Il lui sourit et l'attira à lui pour l'embrasser tendrement avant de retourner à son travail. Mais il ne put rester concentré bien longtemps, car Temari posa une boîte juste sous son nez.

-Qu'est-ce que c'est, demanda-t-il en s'en saisissant.
-Ton coffre à trésor ! Ta mère a gardé tout ce que tu as fais à l'Académie quand tu étais petit.
-Sérieux ?! Je lui avais dit de les jeter...
-Comme si une mère pouvait se débarrasser des cadeaux de son fils...

Elle s'assit à côté de lui sur le canapé, et ils ouvrirent la boîte. La première chose que Shikamaru sortit de la boîte fut un petit cerf fait d'argile. Il rit et l'observa sous tous les angles.

-Ça alors, je ne pensais pas le revoir un jour.
-Qu'est-ce que c'est ?
-Il fallait faire une petite statue représentant notre clan. J'avais choisi la simplicité en représentant un cerf.
-C'est vrai que tu ne t'es pas cassé la tête sur ce coup-là.
-On m'a dit que c'était très bien pour mon âge !

Elle rit et posa la petite sculpture sur la table basse. En faisant la moue, Shikamaru sortir une autre création : un poème.

-Oh, tu écrivais des poèmes ?!
-Tsss, Iruka et ses stupides rédactions...
-C'est bien, non ?! Sur quoi fallait-il écrire ?
-Quelque chose qu'on aime.
-Et tu as fait quoi ?
-Un poème sur les nuages.

Elle le regarda, l'air de se demander si elle devait en rire ou en être désespérée. Elle décida de remettre sa lecture du poème à plus tard. Elle le posa à son tour sur la table basse, lorsqu'elle remarqua qu'une feuille était restée accrochée au poème. Elle reconnut le morceau de papier qu'elle avait repéré un peu plus tôt, et elle s'empressa de le détacher. Elle l'ouvrit et lut l'inscription avec étonnement.

-Shikamaru ?
-Hum ?
-Pourquoi est-ce qu'il y a écrit le nom de ton père sur ce morceau de papier ?
-Fait voir...

Il s'en saisit, et dès qu'il lut les caractères inscris par sa main d'enfant, des souvenirs affluèrent à son esprit. D'une main tremblante, il replia la feuille et la remit dans la boîte, alors qu'un sourire triste prenait place sur ses lèvres.

-Ce n'était rien de spécial...
-Mais Shika...
-Shikadai va bientôt rentrer à la maison. On regardera le reste une autre fois.

Il referma la boîte et s'éloigna pour aller la ranger dans le placard de leur chambre. La blonde le regarda s'éloigner, les sourcils froncés, mais elle décida de ne pas insister. Elle alla dans la cuisine et s'attela à la préparation du dîner. Elle ne vit pas le temps passer, et c'est quand elle entendit son fils prononcer un faible « Tadaima » qu'elle se rendit compte qu'ils étaient déjà le soir. En souriant, elle alla accueillir son fils et lui demanda s'il avait passé une bonne journée, ce à quoi il répondit par un bâillement ennuyé. Le jeune ninja alla prendre une douche pendant que sa mère mettait la table, et une fois que tout était prêt, ils commencèrent le repas.

Un silence gênant s'était installé, mais Temari ne savait pas quoi dire pour le briser. Fort heureusement, Shikadai, qui n'avait pas quitté son père des yeux depuis qu'il s'était assis à table, se décida à lancer un sujet de conversation.

-Shino-sensei nous a posé une étrange question, aujourd'hui.
-Ah oui ? A quel sujet ?
-Je n'en vois pas vraiment l'intérêt pour un ninja, mais il tenait à ce qu'on y réponde.
-Quelle était la question, demanda Temari.
-Si le monde devait s'arrêter de tourner, disons demain, avec qui aimeriez-vous passer votre dernière journée ?

La main de Shikamaru se crispa sur ses baguettes, et cela n'échappa à personne. Mais il s'était vite reprit, alors ils ne firent aucune remarque.

-Si le monde devait s'arrêter de tourner, réfléchit Temari. Eh bien, un ninja doit toujours avoir en tête qu'il peut mourir à chaque instant.
-Que penses-tu de ce qu'on te demande, Shikadai, intervint Shikamaru sans quitter son bol des yeux.
-Je pense que c'est difficile de ne donner le nom que d'une seule personne. Et puis, je ne sais pas quand ça pourrait arriver, et ma réponse risque de changer...enfin, je crois.

Shikamaru sourit, reposa son bol vide et se leva. Shikadai baissa timidement les yeux, lorsqu'il sentit la grande main de son père se poser sur sa tête et lui caresser affectueusement les cheveux. Il rougit instantanément et osa enfin le regard vers son père, qui s'éloignait déjà en souriant.

-Tu es bien mon fils, Shikadai.
-Shikamaru...
-Mais j'ai quand même mis un nom, papa !

Il se leva à son tour, et Shikamaru s'arrêta devant la porte. Temari regarda les deux hommes de sa vie tout à tour, alors que les pièces du puzzle s'assemblaient dans son esprit. Shikamaru avait déjà eu affaire à cette question, et il avait donné une réponse. Réponse qui n'était malheureusement plus valide.

-J'ai écris un nom sur ma feuille, papa.
-Ça na change rien à ce que j'ai dit, peu importe la personne que tu as choisi.
-J'ai mis ton nom.

Temari écarquilla les yeux et regarda Shikamaru. Il n'avait pas bougé, mais ses épaules tremblaient légèrement, et le silence était tel qu'elle avait l'impression d'entendre les battements accélérés de son cœur. Elle sourit tendrement et fit un signe de tête à son fils, qui rougit encore plus.

-Papa...
-Moi aussi, fiston. Moi aussi...

Sans se retourner, il repartit, et tout ce qu'ils entendirent ensuite fut le bruit de la porte de son bureau qui se referma. Shikadai se rassit, ne sachant pas trop quoi en penser. Temari se déplaça à côté de lui et le serra fort contre elle.

-Maman...qu'est-ce que ça veut dire « Moi aussi » ?
-Ça peut vouloir dire plusieurs choses, Shikadai.
-Comme ?
-Comme « Moi aussi, j'ai répondu le nom de mon père ». Ou bien « Moi aussi, je t'aime ».

Elle lui sourit et l'embrassa sur le haut du crâne. Shikadai resserra son étreinte, les yeux fixés sur le vide qu'avait laissé son père en quittant la pièce. Etrangement, ce n'était pas un vide douloureux. Au contraire, il avait l'impression d'être plus proche de son paternel, à présent.

-Peut-être que finalement, cette réponse ne changera jamais...

***

Doucement, Temari referma la porte de la chambre de son fils endormi, lorsqu'elle remarqua de la lumière émanant du bureau de son mari. Curieuse, elle s'approcha, et le vit debout devant la fenêtre, le regard rivé sur un morceau de papier un peu abîmé. Dans son autre main, il tenait sa réponse à la question d'Iruka, qu'il avait ressortie de la boîte. En souriant tristement, elle s'approcha de lui et passa ses bras autour de sa taille, appuyant son visage contre son dos.

-Qu'est-ce que tu regardes ?
-L'avis de décès de mon père.
-Je croyais que tu l'avais rangé pour ne plus jamais le voir.
-Je voulais mettre la boîte au même endroit. Alors j'ai eu envie de jeter un coup d'œil...
-Shikamaru, tu dois arrêter de repousser tout ce qui te rappelle sa vie ou sa mort. Tu ne peux pas le faire sortir de ta vie comme ça.

Il se dégage de son étreinte et posa l'avis de décès sur son bureau. Il le regarda encore un peu, puis se tourna vers Temari et lui montra l'autre feuille qu'il tenait.

-Cette réponse n'est plus valable aujourd'hui, parce qu'elle a changé. Si le monde devait s'arrêter de tourner demain, c'est avec Shikadai et toi que je veux passer mon dernier jour.
-On le veut aussi.
-Ce que m'a dit Shikadai tout à l'heure, ça m'a fait énormément plaisir, je ne peux pas dire à quel point ça m'a fait du bien. Mais quand j'y repense, ça me fait aussi très mal.
-Pourquoi ?
-Parce que même si ça a changé, il n'a jamais été au courant qu'un jour, il a été ma réponse. Il n'a jamais su qu'il était le dernier visage que son fils voulait voir avant de mourir. Parce que je sais ce qu'on ressent quand on entend son fils nous le dire, je sais que je l'ai privé de ce bonheur-là...
-Shikamaru...
-Mon seul regret, Temari, c'est que je ne lui ai jamais dis à quel point je l'aimais ! J'aimerais tellement pouvoir le lui dire, maintenant !

Il éclata en sanglot silencieux, et laissa sa tête retombée sur l'épaule de sa femme, qui sentait que ses propres larmes commençaient à affluer. Elle le serra fort contre elle, même si elle savait qu'elle ne pouvait lui n'être d'aucun réconfort. La blessure causée par la mort de son père était beaucoup trop grande pour qu'elle puisse la soigner, mais ça lui faisait mal à elle aussi de le voir dans un tel état.

Et derrière la porte, alors qu'il devrait dormir sans être au courant de tout ça, Shikadai aussi souffre de son inutilité.

Regret (One-Shot)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant