Chapitre 1

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 J'ai la tête qui tourne, il fait trop chaud. Je ne sais pas si ce sont les quelques coupes de champagne ou la fatigue, mais je suis bien heureuse d'être assise à table, et ce, même sans appétit. Je n'entends plus le monde qui grouille autour de moi malgré la centaine d'invités. La salle est plongée dans une demi-obscurité, seule l'estrade où James fait son discours annuel est éclairée. Quelques minutes de répit entre deux sourires forcés.

Je répugne ces soirées de gala, mais en tant que femme de l'un des plus gros avocats de Pennsylvanie, qui prononce en ce moment même ses remerciements, je n'ai d'autre choix que l'accompagner. Et il vaut mieux pour moi. Je fixe mon attention sur l'assiette devant moi en caressant le bord de ma coupe, n'ayant pas écouté un traître mot de ce qu'a pu dire James jusqu'ici. De toute façon, c'est toujours la même histoire. Il remercie son nouvel associé (un requin répugnant), ses collaborateurs et l'ensemble de ses équipes qui font un travail formidable etc., etc., pendant de longues minutes.

Moi ? Je suis l'une des trois secrétaires du cabinet. Sûrement pas la seule avec laquelle James couche, mais la seule avec laquelle il est marié.
Je ne me sens pas à ma place dans cette grande salle, entourée de femmes magnifiques arborant des diamants plus brillants les uns que les autres, enveloppées dans des robes sublimes aux bras de leurs maris. Leurs regards sont tous pour James et je me rends compte à cet instant de la chance que j'ai de l'avoir dans ma vie. Il est magnifique. J'aimerais qu'il soit plus présent. J'ai beau travailler pour lui comme il le voulait je ne le vois pas plus souvent pour autant. Ma vie est loin d'être horrible, mais la solitude me pèse. Il est toujours en déplacement et emmène plus souvent mes collègues que moi pour le seconder. « Pour être équitable », comme il dit. Mais je ne suis pas bête, je vois bien les caresses innocentes de mes collègues sur le bras de mon mari après un week-end en séminaire. Même si James ne relève pas, je le sais assez charmeur pour céder à la tentation. Pourquoi est-ce que je ne lui suffis pas ? Je l'ignore.

Un coup de coude de mon vieux voisin, que je ne connais même pas, me ramène à la réalité.
— Hé blondie, votre mari vous appelle, me chuchote-t-il lorsque je regarde dans sa direction.
Je relève la tête et découvre avec horreur que tous les visages sont tournés vers moi, attendant visiblement une réaction de ma part. Certaines femmes arborent un rictus amusé en me regardant, je panique. Je n'ai rien écouté du discours de James, trop perdue dans mes pensées. Je ne sais pas comment réagir, mon cœur tambourine dans ma poitrine. Je suis incapable de me lever, paralysée par l'angoisse qui m'étreint soudainement. Si je me lève, je tombe. Je souris timidement, ne sachant que faire.
— Livia, chérie, viens près de moi, réitère James depuis l'estrade en m'invitant d'une main tendue à le rejoindre.

Son sourire est crispé, je lui fais honte.
Sans le faire attendre plus longtemps, j'essuie la moiteur de mes mains discrètement sur ma robe et me lève. Ma vision est soudainement trouble, tous ces yeux qui me dévisagent attendant quelque chose de ma part me déstabilisent. Ma respiration s'emballe, mes jambes sont en coton et lorsque je tente de faire le premier pas pour rejoindre mon mari, je m'écroule. Trou noir.

— Livia, tu m'entends ?! Livia !
Le souffle chaud de James me caresse la joue. J'ignore depuis combien de temps je me suis évanouie, mais lorsque je trouve le courage d'ouvrir les yeux, je suis soulagée de constater que je suis seule avec mon mari, dans une salle attenante.
— Bon sang, Livia ! C'était quoi ça ?
Je me redresse péniblement, encore secouée par ma chute.
— Je suis désolée... murmuré-je.
— Tu peux, bordel !
Je ferme les yeux alors qu'il arpente la pièce en se passant la main dans ses cheveux bruns. Il n'a ce tic que lorsqu'il est énervé et je mords l'intérieur de ma joue pour retenir mes larmes. Je ne fais pas le poids face à son mètre quatre-vingt-dix et il a raison, j'ai tout fait foirer. Je suis la honte de la soirée.
— Je n'ai rien contrôlé, je suis désolée.
— Tu te répètes. Ça va mieux maintenant ? On peut y retourner ?
Y retourner ? Pour que tout le monde me dévisage à nouveau et me juge ? Livia, cette pauvre fille qui ne fait pas le poids. Elle qui a un homme si bon. Livia qui fait toujours la gueule.
— Je suis prête, m'entends-je murmurer.
Je me lève péniblement, en veillant à ne pas me prendre les pieds dans la robe fourreau que James m'a offerte pour l'occasion. Elle est noire et heureusement, après son passage sur le carrelage de la salle, je n'aurai au moins pas la honte de l'avoir taché.

E(m)prise - Dark romance -Where stories live. Discover now