Prologue

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« - Me faites-vous confiance, Doc ?

- Non.

- Dommage. Attention à la tête. »

Il faisait froid, cette nuit là. Une nuit du mois de mars. Il n'y avait pas de vent ni de pluie, mais l'air sec était particulièrement piquant et glaçant. Les étoiles brillaient faiblement dans le ciel encore hivernal. La Lune s'amusait avec les nuages, à cache-cache ou attrape-moi-si-tu-peux. La plupart des rues et ruelles de la ville étaient désertes.

Cette ruelle là ne faisait pas exception à la règle ; sombre, sale, malodorante, silencieuse, et vide, atrocement tranquille. Même les chats errants n'osaient fouiller les poubelles de cet endroit.

Pour John, un sans-abri, cette nouvelle nuit était plus dure que la précédente et moins rude que la prochaine. Il songeait à la chaleur étouffante estivale qu'il allait devoir vivre, et à l'hiver qui allait succéder, et ainsi de suite. Lorsque l'on avait la rue pour foyer, on avait terriblement conscience des cycles saisonniers et journaliers.

Cette nuit là, John avait décidé de trouver refuge dans une rue adjacente de la « DP », soit l'abréviation du nom « Death Prison ». Bien évidemment, ce n'était pas un nom officiel, plutôt un surnom donné par les rumeurs. La « DP » était, en fait, une prison de haute sécurité destinée aux détenus responsables de crimes habituellement hospitalisés en hôpital psychiatrique. En effet, le gouvernement a décidé de collaborer avec une entreprise privée pour la création d'un centre pénitencier qui servirait d'observatoire - et de laboratoire - en utilisant certains détenus comme sujets d'études.

Cet établissement avait mauvaise réputation, car il abritait plusieurs criminels qui, d'après les rumeurs, seraient suffisamment lucides pour être condamnés à la peine de mort, mais, étant potentiellement utiles en armes de guerre, le gouvernement les aurait mit à l'abri des regards indiscrets.

Tous les sans-abri ou presque évitaient soigneusement cet endroit. Mais John, qui souffrait d'arthrose, devait impérativement se réfugier à l'abri du froid. Alors qu'il claudiquait dans la ruelle qui longeait la clôture du bâtiment, il crut entendre du remue-ménage, de l'autre côté de la clôture. Il eut à peine le temps de relever la tête pour observer les rares fenêtres que l'une d'elle explosa en mille éclats.

Un cri - de femme - résonna alors, lui vrillant les oreilles, mais ne dura pas longtemps : un bruit sourd de choc se fit entendre, accompagné de craquements d'os brisés et de gémissements plaintifs. Hébété, John regarda fébrilement tout autour de lui, mais il n'y avait personne à cette heure ; tous les quartiers de Manhattan n'étaient pas bons à fréquenter.

Il clopinait en direction de la route lorsqu'un autre bruit, plus furtif, sonna à son oreille. Instinctivement, il se jeta sur le côté, se tassant au sol, dans l'ombre, en espérant que l'obscurité le cachait. La lueur blafarde de la Lune éclairait le lourd bâtiment pénitentiaire, rendant la scène irréelle : une silhouette plutôt grande et masculine se tenant dans l'encadrement d'une fenêtre brisée. Il était vêtu d'un sweat-shirt - impossible de distinguer clairement sa couleur - et d'un pantalon sombre. Il tenait un objet luisant au clair de Lune.

- Un couteau..., pensa très justement le vieil homme tapi dans l'ombre.

La silhouette balaya la ruelle de son regard quelques peu caché par des mèches sombres qui tombaient devant ses yeux. John remarqua alors que les sirènes de police qu'il entendait étaient toutes proches. Ce constat l'effraya et le rassura à la fois.

La silhouette ténébreuse posa une main sur le rebord de la fenêtre brisée et, sans hésitations, sauta par celle-ci, atterrissant brutalement au sol dans un bruit mat. N'importe quel humain aurait eu les os cassés par la chute. Mais la silhouette, elle, ne semblait pas gênée par une quelconque fracture, bien au contraire.

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