Chapitre 1 - Aelya

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Le soleil lui caresse tendrement les paupières. Elle ouvre les yeux. Que fait-elle donc là ?

Elle se souvient d'une course à travers les rues, arrosée de pluie et une sacoche d'une maroquinerie très ancienne et épaisse pressée contre sa poitrine. Elle sursaute et se retourne vivement.

Sa sacoche.

Sa sacoche en cuir est encore là. Baignant dans la poussière, maculée de tâches sombres, le fermoir en métal cabossé, mais là, près d'elle.

On ne lui a donc pas pris. La jeune fille se soulève péniblement sur ses coudes et regarde furtivement autour d'elle. La cour est déserte, emplie d'une fraiche lumière matinale et d'un silence de lune. Nul être, nul cri, nul rire ne viennent briser la paix cristalline du lieu. Un malin rayon de soleil semble vouloir réveiller la cour encore endormie, et d'un air espiègle balaye de sa lumière les dalles sombres au sol. Celles-ci grognent, se retournent sur leur oreiller de terre et s'abritent à l'ombre de quelques tiges vertes ici et là. Le soleil se fait plus d'autant plus moqueur et apparait soudain vainqueur au-dessus des maisons décrépies de la cour.

Electrisée par le manège du soleil, Aelya saute sur ses pieds fins, récupère son précieux paquet et ajuste la lanière autour de son cou.

Pourquoi ne lui a-t-on pas pris ?

Cela fait pourtant des jours qu'on essaye.

Elle ajuste la lanière autour de son cou et se met en action. Ils peuvent revenir à tout moment, changer d'avis, lui voler sans état d'âme sa pochette de cuir brun. Elle abandonne cette cour pavée de pierres irrégulières et de reflets bleutés. La ville se réveille doucement, et l'aube moqueuse chasse rêves et fantômes nocturnes. Aelya sort de la nuit, secoue ses cauchemars et prend son envol. Les rues roses et calmes accueillent chacune des foulées de cet oiseau traqué.

Peu à peu les premiers marchands ouvrent leurs échoppes et les volets claquent joyeusement sur les murs, laissant apparaitre des visages encore assoupis en bonnets de nuit. Quelques écoliers sautillent sur les trottoirs rugueux et bousculent des vieilles femmes préparant le marché. Une odeur de sel et de poisson se mêle au bruit du vent qui agite les drapeaux de la ville au sommet des maisons. Aelya glisse dans ce décor matinal telle une anguille entre les algues d'une mer à l'aurore.

Parfois, elle s'arrête, aux aguets, se retourne en quête d'un mouvement contraire à la fluidité de la ville, ou cherche une direction et hume les odeurs de mer et le sens du vent, guide premier de ses pas, puis elle reprend sa course dans le dédale de la cité.

Elle s'arrête finalement face à une porte cochère et frappe vigoureusement au heurtoir de fer forgé.

Deux opales de feu scrutent à travers le judas. Un grincement.

Le visage rayonnant d'une jeune femme aux yeux orange apparait.

« Marraine. »

« Ael ! Quel plaisir de te voir ici, entre donc. »

La jeune fille se faufile dans l'entrebâillement et pénètre dans la vaste demeure. Elle traverse un long couloir décoré de dessins et d'huiles encore fraiches. Les deux jeunes femmes s'installent dans le salon rouge.

Aelya ouvre sa précieuse sacoche de cuir brun. Elle en sort des parchemins noircis de billes sombres. Des billes qui dansent sur des portées longues et fines. Dessinées à la plume et pleurant par endroit. Gracieuses et acrobates, elle se baladent sur les lignes telles des équilibristes en plein ballet. Belles et nobles, elles chantent, par quelques soubresauts et jongleries, une histoire émouvante.

Des partitions.

Les yeux d'opales se figent.

« Où as-tu trouvé ça ? »

« Papa... » la voix d'Ael se brise. Elle se reprend. « Papa me les a confiées avant de mourir. »

La femme ouvre la bouche pour parler. La referme. Son regard reste pétrifié de stupeur et de surprise.

« Comment a-t-il réussi... » elle hésite, cherche ses mots. Une sourde douleur donne à sa voix une intonation étrange et triste. Elle murmure presque, ses paroles n'osant exprimer ce que ses yeux comprennent. « Il a retrouvé les partitions de sang. » Elle prend en tremblant le feuillet. Ses derniers mots résonnent dans l'esprit d'Ael comme une incantation maléfique. Elle ne comprend rien, son âme est en feu.

« Que s'est-il passé ? »

Aelya raconte.

« La veille de sa mort, je montai lui apporter du bouillon pour le réchauffer. Quand j'arrivai dans sa chambre je retrouvai le lit vide. J'eus à peine le temps de m'étonner que j'entendis ses pas derrière moi. Il était trempé et glacé. Je l'aidais à rejoindre ses draps.

« Papa comment as-tu réussi à sortir ? C'est pure folie dans ton état ! »

Il me répondit en souriant : « C'est le chant du cygne ma fille ! » Voyant mon air interrogateur il soupira : « Il fallait que j'aille chercher ceci. »

Il tenait fermement serré dans sa main gauche la pochette en cuir. Il me la donna en disant...

Elle hésite. Sa marraine l'encourage : « que t'a-t-il dit ? »

Aelya répond dans un soupir. « Il m'a dit... « Je n'ai jamais réussi à comprendre. Protège, cherche, et trouve la réponse à la question qui m'a torturé pendant des années. ». Marraine. Quelle est cette question... »

Marraine ferme les yeux. Ses traits sont las, si las... Son visage est fatigué, absorbé dans une pensée longue et triste. Elle semble éreintée par les révélations de sa filleule, et réfléchit longuement avant de rouvrir les yeux, et de lancer un lent regard tendre à son Ael.

- Chérie...

Elle contemple la jeune fille et doute quant à la réponse à offrir.

- Aelya, chérie, certaines quêtes ne valent pas la peine d'être menées...

Elle se lève d'un geste souple et entraine sa filleule dans la cuisine.

- Ael, tu as l'air affamée, viens-donc plutôt manger un morceau.

Elle lui réchauffe à feu doux une omelette aux pistaches qu'elle avait préparé la veille.

Aelya ne se fait pas prier et dévore d'une traite l'assiette que lui tend sa marraine. Au moins, ici, elle sera bien nourrie.

***

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⏰ Last updated: Jun 27, 2019 ⏰

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Valse à un angeWhere stories live. Discover now