III : Interview

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" Aussi étrange que cela puisse paraître, je me souviens parfaitement de ma naissance.

Les murs, gris et tristes, n'étaient pas décorés, et la pièce était immense. J'aurais vraiment pu rêver mieux comme première vision du monde, mais bon. Tout autour de moi, je revois encore de nombreux compagnons de galère, tout aussi perdus que moi. On nous avait placé près de grandes machines bruyantes, qui troublaient mon sommeil. J'imagine que c'était pour notre bien, qu'elles permettaient de mieux vivre, mais je me souviens que, déjà, je les détestais terriblement. Ces machines nous transportaient d'un bout à l'autre du bâtiment, ce qui, je me permets, n'est pas vraiment conseillé pour des nouveau-nés. Il faudrait penser à interroger à ce sujet les responsables.

Comme vous devez vous en douter, ce n'est pas la partie de ma vie la plus heureuse. Je ne pouvais encore rien faire, personne ne me regardait, ni avec amour, ni avec envie. En un mot comme en cent, je me sentais comme un objet. Mais mon pire souvenir reste les nombreuses opérations que j'ai dû subir : on m'a remplacé plusieurs parties du corps défectueuses. J'ai souffert de cela, je fus comme monté et remonté de nombreuses fois. C'était horrible et humiliant.

Durant mon adolescence, j'ai beaucoup voyagé et parfois même changé de pays, selon les familles qui m'accueillaient. C'est toujours difficile de changer de maison, de ville. A chaque fois, j'ai dû faire mes adieux à mes amis, à mes proches. C'était bouleversant. Le plus terrible dans cette histoire, c'est que chaque famille qui m'adoptait finissait inexorablement par connaître un drame, un décès ou parfois plusieurs. Et j'étais toujours là à ces moments précis, sans faute. J'ai même fini par penser que j'étais maudit, que j'apportais dans mes bagages le mauvais œil. En même temps, avec tous ces traumatismes... Vous imaginez le nombre de séances chez le psy qu'il m'a fallu pour les surmonter ?

C'est seulement avec mon enrôlement durant la guerre que j'ai enfin pris confiance en moi : là-bas, dans l'armée, on me considérait comme un membre de la famille, on m'entourait, on s'intéressait à moi, on me questionnait, on me chouchoutait.  Et puis, comme j'ai sauvé pas mal de vies, avec le temps, on a fini par me considérer comme un héros. A vrai dire, je ne faisais que mon devoir en sauvant les coéquipiers. Malheureusement, j'ai aussi échoué à en sauver certains, et je m'en veux toujours. Mais je reste tout de même fier de mes faits-d'armes, surtout de celui où, entouré par bon nombre d'ennemis, mon escouade étant presque entièrement HS, je les repoussais en mitraillant de toutes mes forces. J'ai eu énormément de chance cette fois-là.

Et maintenant que tout est fini, je me repose. Plus personne ne m'importune sans raison, je suis tranquille. Mais je me sens comme une pièce de musée surprotégée. 


Cependant, je vous le confesse, je m'ennuie beaucoup en vieillissant et j'envie les plus jeunes. Ils sont plus performants, plus efficaces, plus fougueux. Seigneur comme j'aimerai avoir un coup de jeune.

Ahlala, c'est une vie difficile que celle d'arme à feu, c'est moi qui vous le dis. "


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⏰ Dernière mise à jour : Nov 08, 2021 ⏰

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Chronique de Folie PassagèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant