Cher journal, je crois que je suis morte.

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30/10/2017
Cher journal, autant te le dire tout de suite : je suis dans la panade.
Il y a encore quelques heures tout allait bien ; comme chaque jour je me suis levée à six heures... bon d'accord, six heures en Amérique.
Après avoir petit-déjeuné dans un café au coin de la rue (parce qu'étrangement ma nourriture a toujours une odeur de brûlé et la vaisselle très peu pour moi) je me suis dirigée vers le parc, écouteurs dans les oreilles, afin de faire fondre les calories des quatre pains au chocolat que je venais d'avaler.
Alors que je passais la grille du parc j'ai commencé à avoir mal au cœur, pas mal comme si j'avais la nausée mais comme si mon cœur se resserrait dans ma poitrine, qu'il était dans un étau. Pensant que c'était juste passager j'ai commencé mon jogging, si seulement j'avais su...
Au bout de quelques minutes comme la douleur ne s'était pas atténuée et s'était même accentuée, j'ai fini par m'allonger sur un banc sous le regard de plusieurs couples et de quelques joggers. Fermant les yeux et espérant que ça passe. J'avais froid et des gouttes de sueur perlaient sur mon front.
Quelques minutes plus tard la douleur était devenue bien plus supportable, mais au cas où, j'avais décidé de retourner chez moi. J'allais me lever quand je me suis rendu compte de deux choses : la température avait baissé d'au moins dix degrés et plus inquiétant encore, je n'entendais plus aucun bruit.
Tout était devenu étrangement calme, plus aucun gamin ne braillait, plus aucune personne ne parlait et plus aucune voiture ne roulait.
Lentement j'ai ouvert les yeux, peut-être n'aurais-je pas dû.
Rien ni personne ne bougeait, tout était comme figé en plein milieu d'une action.
On aurait cru une photographie, un ballon flottait en l'air, un groupe de pigeons était en train de s'envoler pour échapper à une enfant qui courait vers eux et un couple était en train de s'embrasser, les cheveux de la fille, figés dans l'air, sans doute soulevés par une brise que je ne sentais pas.
Cette image restera sans aucun doute gravée dans ma mémoire à tout jamais...
Je n'ai jamais eu aussi peur de toute ma vie, je me suis mise à courir espérant trouver âme qui vive dans ce désert sans bruit ni mouvement.
Cependant, un détail m'avait jusque là échappé : une étrange poudre noire flottait dans l'air.
Bien, au moins j'avais trouvé quelque chose encore en mouvement, j'aurais juste préféré que ces étranges choses, petites sphères noires flottant dans l'air, ne se dirigent pas vers moi et arrêtent de se regrouper.
Pendant quelques secondes je suis restée figée, puis mon instinct de survie a repris le dessus et je me suis retournée avant de partir en courant.
Je ne crois pas avoir déjà couru aussi vite de toute ma vie, mon idiot de prof de sport en serait resté bouche béee.
Malgré mes performances dignes d'un athlète, les choses noires avaient continué à se rapprocher. Non je me trompe, il n'y en avait plus qu'une seule...
Je n'avais plus le choix, si je devais me faire attaquer par des choses toutes droit sorties d'un film d'horreur, autant me battre, j'ai alors attrapé une branche d'arbre tombée sur le sol et me suis retournée afin de pouvoir faire face à mon poursuivant.
Devant moi se tenait une créature étrange et... cauchemardesque.
Mon poursuivant possédait une silhouette grande et mince, trop mince comme s'il s'était agi d'un squelette sans chair. Il flottait à plusieurs dizaines de centimètres au-dessus du sol et était encapuchonné.
Il semblait être constitué de lambeaux de tissus sombres et tenait dans une main noire, maigre et putréfiée une sublime rose noire dont les pétales de jais étaient fermés.
Mon cœur battait à toute allure, je compris.
La Mort.
Ce que j'avais en face de moi était la Mort.
La réalité m'avait frappé : j'allais mourir.
Je me suis mise à sangloter, j'étais trop jeune pour mourir, du haut de mes vingt-et-un ans je n'avais encore rien vécu.
Je ne savais pas pourquoi la mort venait me chercher là, tout de suite, maintenant, d'ailleurs je ne le sais toujours pas. A ma connaissance je n'ai aucune maladie qui ait pu m'être fatale, peut-être étais-je en train de faire une crise cardiaque, j'avais ressenti une pression sur mon cœur tout à l'heure mais je trouve cette hypothèse peu probable...
La Mort avançait lentement vers moi, à la même vitesse je reculais, réfléchissant à des options pour fuir et sauver ma peau.
Trop tard.
J'avais été trop lente. J'étais maintenant aculée, derrière moi le grillage, devant moi La Mort, résultat : plus aucun moyen de fuir.
Les larmes rongeaient mes joues « Je vais mourir, je vais mourir... » n'avais-je pas arrêté de me répéter. La Mort tout près de moi approchait la rose de ma poitrine, le bout de la tige se rapprochait lentement de mon cœur et ses pétales s'ouvraient un à un. Je fermai les yeux attendant que mon destin soit scellé, je le savais, il n'y avait plus aucun espoir.
J'entendis une détonation semblable à celle d'un révolver suivit d'un flash qui m'aveugla, je pensais que c'était l'effet que faisait le fait de mourir.
Cependant je n'étais pas morte.
J'ouvris les yeux, retrouvant la vision quelques secondes plus tard : plus aucune trace de La Mort.
Quelques personnes passaient devant moi, des couples, des parents et leurs enfants : le temps avait retrouvé son cours.
J'avais lâché la branche et m'effondrais par terre, sanglotant, effrayée et échevelée. Quelques minutes plus tard après avoir retrouvé mon calme je me levais décidant de retourner chez moi : j'avais besoin de réfléchir.
Mes mains tremblaient et de la sueur perlait de mes cheveux, j'avais failli mourir mais pour une raison inconnue ce n'était pas arrivé, j'avais été secourue juste à temps.
Plus je réfléchissais, plus je pensais que quelqu'un m'avait sauvé, j'avais entendu un coup de feu après tout, cependant je ne savais pas qui.
Alors que j'arrivais dans la rue de mon studio un homme tenant en laisse un chien fonça sur moi et me fit tomber « excu... » avait-il commencé à dire, il s'arrêta de marcher et regarda autour de lui les sourcils froncés et l'air un peu étonné avant de se remettre à marcher.
« Tocard » avais-je pensé avant de me relever et me diriger vers mon chez-moi.
Je passai devant ma boulangerie favorite et décidai d'acheter un croissant, j'avais besoin de sucre et le moindre bruit m'aurait fait m'évanouir.
Une fois dans la boulangerie, alors que j'attendais sagement depuis cinq minutes que quelqu'un daigne prendre ma commande un groupe de pré-ados boutonneux entra et me dépassa comme si de rien n'était.
Alors que j'allais insulter ces charmants mômes sur le fait qu'ils n'avaient aucun droit de me dépasser (j'avais parfaitement le droit de m'énerver j'avais quand même failli mourir) la boulangère arriva et prit leur commande essentiellement constituée de bonbons, après ça et avant que je n'aie eu le temps de lui demander un croissant elle repartit dans une salle à l'arrière, dans laquelle j'entrevoyais une télévision.
Enervée, j'étais partie sans rien acheter, je devais réfléchir et me reposer.
Une fois chez moi en sortant mon téléphone je vis que ma mère avait essayé de m'appeler. Ayant besoin de normalité, de réconfort et sachant à quelle vitesse elle s'inquiétait (même si aujourd'hui elle aurait eu raison d'être anxieuse) je décidai de la rappeler tout de suite. Après quelques vibrations elle décrocha.
« Salut maman » avais-je dit, d'un ton las et fatigué, elle m'avait alors répondu « Ma chérie comment vas tu ? » « Bien et toi ? » pendant quelques secondes elle n'avait rien dit, puis : « Ma chérie parle plus fort s'il te plait, je ne t'entends pas. » j'avais soupiré espérant que ma mère ne soit pas devenue sourde. « Je t'ai demandé comment tu allais. » « S'il te plait je ne t'entends pas, bon attends je vérifie le volume de mon téléphone, je vous avais dis de ne pas m'acheter des idioties pareils... non c'est bon il est au maximum ! » j'avais encore soupiré et réessayé de lui parler plusieurs fois mais sans succès, j'avais commencé à m'énerver et elle aussi.
« Pfff... elle a dû m'appeler sans le faire exprès, gosse ingrate... » avait-elle dit avant de raccrocher.
Etonnée, j'avais essayé de l'appeler sur le fixe pensant que mon téléphone était cassé : cette fois encore après avoir décroché elle semblait ne pas entendre ma voix.
Là je commençais à être vraiment inquiète et la raison de ce problème commençait à m'apparaître. Attrapant mon manteau j'étais descendue en trombe dans la rue.
« Excusez-moi ! » avais-je crié à la première personne qui passait devant moi.
Elle m'avait ignorée.
J'avais réessayé plusieurs fois l'expérience avec diverses personnes croisant ma route : toujours le même résultat, ils m'ignoraient, ne daignant même pas me gratifier d'un regard. Je courais dans toute la ville, plus qu'inquiète j'étais au bord du désespoir...
Des heures durant j'avais apostrophé des dizaines et des dizaines de personnes sans résultat.
Au bout d'un moment, énervée, inquiète et au bord des larmes je commençai à donner des coups de pieds à une voiture en criant « Regardez-moi ! Regardez-moi ! Je suis là ».
Les passants se tournaient et regardaient là où j'étais, sans doute convaincus d'entendre un bruit de ferraille... mais là encore ils m'ignoraient, personne ne me demandait d'arrêter.
Désespérée, au bout du rouleau, je m'effondrai sur le sol bétonné.
Je n'étais pas morte mais c'était tout comme. Ils ne me voyaient plus, ils ne m'entendaient plus.
Et d'ailleurs pourquoi pensais-je que je n'étais pas morte ? Peut-être étais-je seulement un spectre, une ombre errant dans le monde des vivants, qui n'aurait pas le droit au Paradis ou même à l'Enfer.
A ce moment tout me semblait mieux que ça.
Histoire d'en avoir le cœur net je me dirigeai vers le parc... peut-être y trouverais-je mon corps ?
Le visage inondé de larmes j'arrivais à l'endroit maudit où tout avait commencé... ou plutôt où tout s'était fini...
Rien. Il n'y avait rien.
« Et pourquoi n'auraient-ils pas déjà emmené mon cadavre ? » me répétais-je en boucle, je ne souhaitais pas laisser l'espoir de ne pas être morte, cette petite flamme dans ma poitrine me murmurant que peut-être il y avait une solution s'intensifier : je devais éteindre cette flammèche qui menaçait de devenir un brasier.
Je retournais alors chez moi et la suite tu la connais...
Je ressortis d'un vieux carton un carnet poussiéreux, toi mon journal intime. J'avais le souvenir que quand j'étais enfant, écrire mes problèmes sur tes pages me soulageait et me permettait de trouver des solutions... j'espérais qu'une fois encore ça me sauverait.
Hélas je ne suis toujours pas plus avancée, j'imagine qu'il y a une limite au niveau de problèmes que tu peux m'aider à résoudre...
Tout ça pour dire que moi, Ophélie, vingt et un ans, étudiante en arts, j'ai actuellement un énorme problème.
La bonne nouvelle est qu'il semblerait que mon corps possède encore une certaine consistance, je peux interagir avec tous les objets, ce qui est une assez bonne chose.
Maintenant que j'ai les idées plus claires je cherche une solution pour sortir de ce « mauvais pas », tout d'abord il me semble nécessaire de savoir ce qui m'arrive.
Je ne pense pas être folle, crois-moi ; j'y ai réfléchi mais je ne crois pas que l'on puisse devenir tarée du jour au lendemain et je suis certaine que j'étais tout à fait saine d'esprit hier.
La deuxième possibilité est que je sois bien morte mais que mon esprit ait « raté » le passage dans l'autre monde. Mais là encore je suis loin d'être convaincue : premièrement de quoi serais-je morte, de deux je n'ai pas vu de corps. En plus il me semble que si j'étais bien morte dans ce parc de malheur il aurait été fermé ou bien il y aurait des pompiers ou autre dedans.
La troisième possibilité est que je sois tombée dans le coma bien que je ne vois pas trop de raisons à cela, de plus cela signifierait que je suis en train de rêver mais j'ai la conviction d'être parfaitement réveillée.
J'ai une quatrième possibilité et j'espère que c'est celle-là car s'il s'agit d'une des trois autres je suis vraiment dans la marrmelade puisque je n'aurais aucun moyen de m'en tirer.
La quatrième possibilité donc est que je sois bien vivante et consciente mais que pour une obscure raison je sois devenue invisible et inaudible pour toutes les créatures vivantes... enfin non, pas toutes. Tout à l'heure quand je suis retournée chez moi il y avait le chat d'une voisine sur le pas de la porte, dès que je suis arrivée à proximité de lui il a commencé à me fixer et suivait le moindre de mes mouvements.
Je m'inquièterai davantage maintenant quand je verrai un chat fixer un endroit alors qu'il n'y a rien à voir...
J'ai envoyé un message à ma mère, elle n'a pas manqué de me faire remarquer que tous ces appareils électroniques que j'achète ne remplaceront pas le courrier puisque de toute façon ceux-ci ne sont pas fichus de fonctionner correctement.
Etant donné que je n'ai pas vraiment d'autres idées j'ai envoyé un message sur un site sur le paranormal, oui je suis vraiment au bout du rouleau... histoire de ne pas avoir l'air trop folle (sens tu l'ironie cher journal ?) j'ai seulement raconté le fait que je sois devenue invisible et inaudible pour toutes les créatures vivantes sauf les chats mais que pourtant je sois encore capable de manipuler les objets à ma guise ou même de faire un croche-pied à quelqu'un, j'ai aussi parlé des quatre théories que je t'ai exposées plus haut. Enfin figure toi que bizarrement les gens qui m'ont répondu n'ont pas l'air de m'avoir prise pour une tarée ou une menteuse même si eux... enfin bref, les réponses qui m'ont été envoyées jusqu'à présent ne sont pas très pertinentes et même si je suis tombée bien bas je ne crois pas que je les testerai.

Cher journal, je crois que je suis morte.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant