Le voyage

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Le glapissement des mouettes couvrait le bruit des remous de l'océan en cette fin de nuit. Le ciel noir virait au rose tandis que l'iode collait le sel contre la peau de Silver Whisp, navigateur de profession. Malheureusement, être marin comme il l'était comportait des inconvénients comme être à terre de façon très épisodique. Son cœur se serra soudain alors qu'il songeait à nouveau aux événements de la nuit passée.

Jusqu'il y a quelques heures, Silver avait été fiancé. En effet, sa famille avait jugé bon de chercher une femme pour lui en dépit de ses vagabondages sur toutes les mers du monde. Il devait avouer que Maia du Guillet ne l'avait pas laissé indifférent lorsqu'ils s'étaient rencontrés un an auparavant, lors d'un de ses rares passages à Saint Malo. Menue et de petite taille, les yeux chocolat brillant de joie de vivre et de longs cheveux noirs, elle aurait pu devenir le rayon de soleil de sa vie si seulement ... Silver soupira. La voir dans les bras d'un homme bien plus âgé qu'elle et lui procurant du plaisir lui avait fait un choc.

Le jeune homme releva la tête et contempla au hasard les toits des maisons. Son attrait pour la mer, renforcée par les différents voyages qu'il avait effectué depuis ses treize ans, où il avait commencé comme mousse, balayait tout le reste. Les femmes infidèles, les mariages stupides, la société humaine... il en avait sa claque de tout ça.

Le claquement de ses bottes sur la pierre résonna dans les petites ruelles tandis qu'il se dirigeait vers le port. Le bateau où il s'était engagé depuis plusieurs années, l'Alouette Volante, allait bientôt appareiller pour les Caraïbes et Silver ne voulait surtout pas manquer ce fabuleux voyage qui durerait au moins trois ans.

Au bout d'un quart d'heure de marche acharnée, le jeune homme arriva enfin au port. La couleur rosée du ciel virait au jaune et au violet, alors que la couleur bleu foncé de la nuit refluait vers l'ouest. Mais il n'avait pas le temps d'admirer le spectacle. Une activité intense régnait près de l'Alouette, qu'il venait d'apercevoir au bout du quai, et Silver pressa le pas afin de prêter main forte à l'embarquement.

Des tonneaux roulaient de toute part, des jurons et des hurlements partaient dans tous les sens. Malgré mon expérience, le jeune homme eut un sourire en entendant tout ça : comment les gens habitant près du port pouvaient-ils ne pas se réveiller avec toute cette cacophonie ? Il n'aurait jamais tenu pour sa part.

- Hé, Silver ! Espèce de bon à rien, viens nous aider au lieu de bailler aux corneilles comme Juza !

Juza était le mousse de l'Alouette. Il était suffisamment âgé pour prétendre à un statut plus haut que mousse, mais était si simple d'esprit que personne ne songeait pas à lui donner un autre poste. Grand, des taches de rousseurs pleins les pommettes, il regardait avec émerveillement les marins aux muscles d'acier faire rouler les tonneaux sur le sol afin de les embarquer sur l'Alouette.

Le marin qui avait interpellé Silver lui adressa un grand signe de la main avant de continuer à marcher, une énorme caisse sur les épaules. Ce dernier secoua la tête avant de se précipiter vers une pile impressionnante de sacs en toile. Chaque marin avait son rôle sur le bateau et gare à celui qui ne participait pas à l'embarquement. Selon les sautes d'humeur fréquentes du capitaine Adam, il y avait de fortes chances pour d'être laissé au port en cas d'erreur ou de retard.

Cela était arrivé une fois à Silver alors qu'il n'était encore qu'apprenti. Alors que ses parents l'avaient retenu afin de lui parler de son stupide devoir de fils aîné, il était parti beaucoup plus tard que prévu et avait raté le départ du bateau. Il avait dû ensuite passer plusieurs interminables semaines à terre. Dès que l'Alouette était revenue, le jeune homme s'était empressé d'aller faire ses excuses au capitaine avant d'embarquer pour quatre longs mois de voyage sans en parler à sa famille. Celle-ci avait fini par comprendre que son amour de la mer dépassait les obligations familiales et le laissait désormais tranquille.

Cette fois ci, le voyage durerait au moins trois ans. L'Alouette avait pour mission de livrer des armes dans une des îles des Caraïbes et en ramener des somptueuses soieries, ainsi qu'une grosse cargaison de bois précieux et de tabac.

Le soleil était levé lorsque l'embarquement fut enfin terminé et l'équipage se fit copieusement injurié par le capitaine au sujet de leur lenteur et leur incompétence.

- Allez les mauviettes, hissez moi les voiles et plus vite que ça ! hurla le capitaine. Et que ça saute !

- Oui capitaine !

Zigzaguant entre les marins qui descendaient les derniers tonneaux dans la cale du navire, Silver se dirigea vers la barre sur la dunette du gaillard arrière. Au cours de ses nombreux voyages en mer, il était devenu un bon navigateur et le capitaine lui faisait dorénavant confiance pour conduire le bateau à bon port.

Le jeune homme caressa le bois poli de la barre, un air béat sur le visage. Il adorait être un navigateur depuis qu'un ancien marin, revenu à terre depuis, lui avait enseigné toutes les ficelles du métier. Silver avait l'impression que ses mains sur l'immense roue de bois étaient prolongées et contrôlaient tout le navire jusque dans ses moindres recoins. Les nerfs de bois rejoignaient les nerfs de chair par cet intermédiaire. Dans un grand claquement de tissu, les voiles furent hissées, aussitôt gonflées par le vent venant de l'ouest. L'ancre fut remontée dans un bruit terrible de chaînes mouillées et les amarres larguées. C'était à son tour d'agir. Assurant sa prise sur la barre de bois, il fit lentement virer le bateau de bord tout en veillant bien à garder le vent dans les voiles.

Soudain, au delà de tous les bruits du bateau, Silver entendit un claquement sonore retentir sur le dallage de pierre du port. En jetant un coup d'œil par dessus son épaule, il reconnus Maia, ses longs cheveux noirs flottant autour d'elle tel un nuage autour de sa tête. Le jeune homme se renfrogna : qu'est-ce qu'elle lui voulait encore ? C'était fini entre eux. De toute façon, ce qu'elle avait fait confirmait bien ce que ses amis sur l'Alouette lui disaient sur les femmes.

- Silveeeeeeeer ! hurla-t-elle, la voix déformée par le chagrin. Reviens, je t'en supplie ! Ce n'était pas moi qui ai voulu ça ! Il m'a forcée ! Pitié Silver, au nom de notre amour, reviens !

Le cœur du navigateur se serra, mais il était trop tard pour revenir en arrière. Silver détourna le regard vers l'horizon, ses mains crispées sur la barre. Il entendait toujours les lamentations de la jeune femme, portées par le vent de l'ouest. Le capitaine Adam monta soudain les marches dans un bruit sourd et vint se poster à ses côtés, posant une main compréhensive sur son épaule. Le jeune homme se sentit soudain mieux et put se concentrer sur la conduite du bateau, tandis que les plaintes de son ex-fiancée étaient couvertes par le vent.

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Hej ! Je reviens avec une nouvelle histoire plus longue que les précédentes. Au programme : des sirènes ! Le début a été écrit il y a fort longtemps (vers 2010) et je l'ai fini durant mon projet Bradbury en 2017. Ce qui explique une légère différence dans la narration entre le début et la fin, malgré mes corrections. J'espère que cela vous plaira :)

Le chant de la sirèneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant