- Tu m'écoute quand je te parle ?
Les yeux de Samantha sont d'un vert étonnant et les éclairs qu'elle me lance ne laissent que peu de place au doute : non, je ne l'ai pas écouté. Elle soupire alors que ma mine se décompose. Quelques mots aimeraient sortir de ma bouche, je les sens sur le bout de ma langue mais malheureusement je n'y arrive pas : je m'entends lui dire un charabia incompréhensible alors que son regard accusateur ne me quitte pas.
- Tu as de la chance que je t'aime bien tu sais !
Je lève les yeux au ciel alors qu'elle soupire. Je dois admettre qu'elle a raison, forcément. D'aussi loin que je me souvienne Samentha a toujours été là pour moi. Une rencontre à la maternelle - le truc pas franchement marquant mais important à souligner. Elle a déménagé et l'on s'est retrouvées que plus tard, au lycée. Mêmes études pour deux jeunes femmes diamétralement opposées. C'était assez impressionnant d'ailleurs, de pouvoir se retrouver comme si nous ne nous étions jamais quittées depuis le lycée et même à la fin de nos études. Elle parle beaucoup trop pour moi mais je ne dis rien : je suis la fautive de l'histoire. Alors je lui souris, ce sourire d'excuse qui me quitte rarement avec elle. J'ai l'impression non pas que je ne la mérite pas, juste qu'elle est là parce qu'elle a pitié de moi et cette idée à quelque chose de bouleversant même si je n'arrive pas à expliquer pourquoi.
Finalement, la léthargie qui semblait être mienne depuis désormais quelques minutes me quitte enfin, et je trouve le courage de lui bredouiller quelques excuses dont elle n'aura cure - elle aura déjà oublié le pourquoi elle m'en veut alors que je n'aurais même pas terminé de lui demander pardon. Sans doute parce qu'elle a de multiples choses à me raconter : ses aventures d'un soir, son travail passionnant, sa vie formidable. Toutes ces choses qu'elle vit de manière absolument génial, avec toi, à côté. Seul boulet dans le paysage idyllique. C'est ainsi que tu te vois.
- Désolée, je dors super mal en ce moment.
L'excuse que je lui ressors à chaque fois que je suis à l'ouest. Ce n'est pas foncièrement faux, il y a bien longtemps que je n'arrive plus à dormir. Depuis qu'il est parti, à vrai dire. Oh, ce il. C'est ... comment dire ? Le bruit de ma cuillère dans ma tasse de café semble tirer Samantha de sa contemplation des cernes sur mon visage. Autant être honnête : je n'aime pas du tout cette manière qu'elle a de me regarder, mais je ne lui ai jamais dit, alors forcément, elle continue de le faire.
- Tu penses encore à lui pas vrai ?
L'absence de ma réponse, mes yeux qui se baissent instinctivement sur ma tasse de café devenue froide à force d'attendre, et ma meilleure amie comprend immédiatement que oui, c'est encore à cause de lui si je ne dors pas la nuit. Si ma vie tourne au désastre. Que c'est ridicule de dire ça. Au fond, je le sais, il n'est qu'un pion dans l'échec de ma vie, une pièce en plus à rajouter à la catastrophe, mais le problème c'est bien moi. Et uniquement moi.
- Ca va Sam, t'inquiète. J'essaie de la distraire, j'aimerais lui parler du serveur qui la regarde de derrière son comptoir, qu'elle pense à autre chose qu'à moi pendant trois minutes. Juste pour me laisser souffler. Mais comme toujours, ça ne fonctionne pas ...
- Non je suis sérieuse Charlie, ça suffit là, il est temps de passer à autre chose t'as une allure de ...
- Zombie, c'est ça ? La colère teinte ma voix et mon amie comprend qu'elle a désormais était trop loin.
De la poche de mon jean, j'extirpe quelques pièces de monnaie destinées à régler mon café froid - que je ne boirais donc pas - j'attrape mon sac que je cale sur mon épaule et je plante mon amie d'un simple :
- Je dois y aller, à plus Sam, j'te rappelle bientôt.
Et je ne lui laisse pas le temps de me retenir. Non, parce que je sais qu'elle a raison et que je dois sans doute ressembler à un zombie. Oui, le teint cadavérique, les yeux hagards à cause du sommeil qui me fuit, et puis que dire de mon corps ...
Alors que je quitte le café dans lequel nous nous retrouvons régulièrement, je ne peux pas m'empêcher de penser à mon amitié avec elle. Sommes-nous devenues proches parce que nous nous connaissions un peu d'avant le lycée ? Était-ce un moyen pour ne pas être perdues dans le grande monde que nous affrontions alors ? Sans doute oui. Parce qu'au fond, elle n'était pas comme moi. Pimpante, belle, affirmant ses courbes et sa féminité. Elle ferait pâlir n'importe quelle femme sûre d'elle alors que dire de celles qui n'avaient pas une once de confiance en elles ?
Après avoir parcourus plusieurs mètres, je jette un coup d'œil à ma silhouette dans une vitrine qui me fait face. Samantha a raison, je fais peine à voir, mais ça a toujours été ainsi. Je n'ai jamais été à l'aise dans mon corps, comme si ce n'était pas le mien. Comme si je n'arrivais pas à me l'approprier. Et puis je n'étais pas de la même trempe qu'elle : j'aimais et j'aime toujours me fondre dans la foule, n'être qu'une ombre parmi les ombres. Et que ce soit ma silhouette, mon regard marron ou mes longs cheveux noirs, rien ne vient troubler le tableau de ma discrétion voulue.
Et je crois aussi que c'est cela qui convient à Samantha : quand j'y réfléchis, je me dis que c'est une bonne amie, bien entendu, mais que je lui sert plus de faire-valoir qu'autre chose. Je pense que la réciprocité de l'amitié n'est pas forcément réelle : elle a les amis qu'elle veut, et ce depuis toute petite. Alors pourquoi s'enticher d'une personne telle que moi ?
Je suis lassée de toute cette situation, de cette vie qui m'échappe. J'ai l'impression qu'un immense vide m'attrape et m'enferme dans une tristesse que je n'ai plus envie de ressentir. Pourtant, tout en moi le crie. Depuis qu'il était parti, ma vie s'était envolé en fumée. Comme si la vie d'une femme pouvait tenir dans les mains d'un homme. J'étais ridicule, je ne le savais que trop bien mais c'était plus fort que moi, penser à lui m'aider à ne pas oublier. Mais oublier quoi au juste ?
Lorsque je rentre chez moi ce soir là, je n'ai toujours pas réussi à chasser mes idées noires. Mes clés ouvrent la serrure de mon appartement avec lenteur. Tous mes gestes sont ralentis, obscurci. Comme si un voile noir s'était posé sur mes yeux, sur mon esprit, m'empêchant ainsi de réfléchir de façon cohérente. Enfin, le cliquetis de la serrure se fait entendre et je ne traîne pas pour entrer dans mon appartement. Un mouvement plus tard et la porte se referme dans un claquement sonore alors que je pose mes clés sur la commode avec un soupir profond.
Je ne sais pas pourquoi je suis fatiguée ainsi. De tout, de rien. Mon monde a perdu de ses couleurs depuis qu'il m'a quitté. Depuis qu'il est parti. Nouveau soupir alors que j'ouvre le frigo pour en saisir une bouteille d'eau. Quelques gorgées tout au plus, alors que mes pensées voyagent encore dans ce passé que j'ai en commun avec lui. Homme charmant, véritablement. Enfin, c'était ainsi que je le voyais. Avant qu'il ne me laisse pour une autre. Les mots résonnent encore à mes oreilles alors que l'empreinte de son dernier baiser sur mon front semble brûler ma peau.
- T'es une fille bien Sam, mais vraiment, j'ai besoin d'autre chose.
Autre chose. Voilà comment il avait qualifié sa nouvelle copine. Ricanement qui se fait entendre dans l'atmosphère silencieuse. Est-ce que je me rassurais ainsi ? En voyant que cette nouvelle fiancée n'était pas mieux traitée que je l'étais ? Sans doute oui. Mais il fallait bien que je me tienne à quelque chose.
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Volonté d'âme
FantasyElle n'a rien d'extraordinaire. Une femme comme les autres. Une vie bouleversée par une rupture. Et un destin qui lie son âme à celle d'un autre. Peut-elle réussir à échapper à sa tourmente pour découvrir qui elle est véritablement et ce qu'elle es...