Les yeux de Romney Marsh

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C'était en Décembre 1822.Londres, en Angleterre. Je venais de perdre mes parents et n'avais ni femme pour me prendre dans ses bras, ni enfant pour me sourire et ni famille pour sécher mes larmes. Je sombrai petit à petit dans une profonde dépression tandis que les longs jours de ma pénible existence s'écoulaient comme les flocons au dehors, frêle chose dont la simple existence ne semble que se résumer au fatal but de s'écraser au sol et de disparaître à jamais. Rien dans l'ensemble de ma vie ne semblait beau ou même appréciable. J'étais écrivain à mes heures perdues, entre mon cabinet médical et mes jours de repos. C'était un de mes instants de répit, mais depuis que j'étais seul, c'était mon échappatoire, une fine corde me permettant de m'accrocher à la vie. Alors, j'écrivais des histoires comme pour essayer de réinventer ma vie en la comblant d'aventures passionnelles et de récits jonchés de héros meurtris parvenant à trouver la clé d'une existence désenchantée. Mais tout ici me rappelait que j'étais seul et que mes héros restaient dépendants d'un cœur de papier.

Un matin, n'ayant pas réussi à dormir jusqu'au lever du jour, je me levai avant le céleste compagnon de ce dernier. Je regardai la brume se lever au fur et à mesure que l'aube arrivait. Cette campagne dans laquelle j'étais né me manqua alors. Car l'aurore n'y agit pas de la même façon que sur la ville. Ici, point de chat-huant, point de chevreuil ni de troupeau et leur berger au loin réveillant avec eux le peuple faune encore paisiblement endormi. A Londres, tout cela n'était rien. La beauté émouvante de l'aube dorée et pourpre n'existait pas. La brume qui s'élevait de la Tamise et qui répandait son voile flou sur une ville insomniaque était déjà fendu par les bateaux dont le bruit sourd et lent annonçait qu'un nouveau jour c'était levé. La ville se réveillait dans un bruit mécanique et sifflant rythmé par l'arrivé d'automobiles ramenant au foyer couche-tard et boit-sans-soifs suivit d'un cortège d'ouvriers dont les visages étaient salis par leur labeur nocturne, dissimulés derrière une gavroche et le nuage de leur cigarettes. Ici, l'aube n'est que le signal d'un passage à témoins d'une course de relais qui était disputée entre les figures de l'ombres et celles du jour. De mon balcon, j'observais dans un calme religieux ce spectacle. Bientôt le soleil apparut au loin derrière les sombres vapeurs des cheminées sur les toits et le sablier du temps se retourna une nouvelle fois.Ce jour-là, je décidai de ne pas aller travailler. Ma courte nuit,doublée d'une anxiété devenue permanente, me rendait incapable d'exercer. Mais vers neuf heures, on toqua à la porte. Cela ne se pouvait être une femme puisque que le bruit était ample et bref :ce qui témoignait d'une carrure et d'une assurance tout à fait masculine. Ma théorie se confirma puisque ce fut à John, un ami de longue date, à qui j'ouvris la porte. Il me conseilla de partir quelques temps, histoire de faire le point et de m'isoler quelque part pour respirer.

Peu de temps après son départ,j'étais déjà en train de plier dans quelques maigres bagages des affaires de premières nécessité, accompagnés de vivres qui pourraient au moins me nourrir quelques jours. Je partis dans le Kent, près des côtes de Romney Marsh. C'est là-bas que j'étais né et c'était probablement là que mes troubles s'estomperaient. Je pris le train pour m'y rendre.

A mon arrivée, un orage éclata et dévoila ses sceptres de lumière dans un ciel noir et nuageux. Le vent et la pluie lors de leur danse endiablée pliaient la ramure des arbres qui m'entouraient, les faisant craquer et siffler alors que ces deux amants les traversaient avec fougue et rage. Tandis que j'appelai un taxi de la main sans trop y voir à travers ces flots incessants, deux ronds lumineux qui fendaient l'obscurité vinrent à moi, c'étaient les phares d'un cabriolet. Je montai dans le véhicule avec empressement quand un homme manifestement imposant et à la voix rauque me dit :

-Où il veut aller le M'sieur ?

-A l'hôtel le plus proche je vous prie, répondis-je en essuyant mon front qui ruisselait tant il était mouillé.

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⏰ Last updated: Feb 19, 2020 ⏰

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