Rien à perdre.

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Debout, les mains crispées sur la barre du VLRA, le président était en colère, hors de lui.
Et malgré la boule de haine qui lui serrait la gorge, il fallait garder sa dignité, sa prestance.

Le véhicule, sous le soleil doux et insouciant de ce 14 juillet, finissait la remontée des Champs-Elysées sous les huées du public. 

Il maudissait ce peuple plus que tout. Il vomissait ces gens qui, après l’avoir élu, ne lui avaient plus jamais témoigné la moindre compassion, la moindre écoute, la moindre tendresse. 
Il avait fait des erreurs, c'est vrai.
Tous en avaient fait et lui, pas plus qu’un autre. Mais aucun, aucun n'avait eu à subir cette hostilité inconditionnelle, ce dégoût national. 

Qu'avait-il fait pour en arriver là?

Il descendit de la voiture la mine sévère. Il allait passer en revue les dernières troupes quand, au milieu des véhicules de guerre rutilants, il vit une Bentley noire garée entre deux chars.

Il s’arrêta net. La dernière et unique fois qu’il l’avait vue, c’était il y a 24 ans. 

Son conducteur en sortit, il n'avait pas changé. 

*******

- Anthony Crowley.

Flegmatique, l’individu s’était présenté au futur jeune président plus par principe que par politesse.

Abruptement tiré de sa lecture, le jeune homme l’observa non sans une certaine méfiance.

Cheveux long couleur feu, costume noir et chaussures en croco, il avait l'allure d'un dandy irrésistiblement attirant et repoussant à la fois.

- Enchanté…bredouilla Emmanuel, incapable de deviner les intentions de cet homme derrière ses lunettes noires.

Crowley se laissa tomber élégamment sur le banc auprès de l'adolescent. Quelques feuilles mortes tourbillonèrent à ses pieds.
Il rejeta la tête en arrière pour observer les branches nues et désolées des grands arbres qui les surplombaient.

- Je peux t’apporter ce que tu cherches.

Sa voix était calme mais tranchante.

- Je vous remercie, répondit poliment Emmanuel, mais je n’ai besoin de rien. 

Il s’empressa de ranger son livre et de fermer son sac afin de s’éloigner au plus vite de ce gars bizarre qui allait certainement lui proposer de la drogue.

Crowley se délecta de l'ingénue vertu juvénile de sa cible. Avec la grâce et la rapidité d’un chat, il le rattrapa par le bras. 

- Ce que j’ai à te proposer va bien au delà de la simple came.

Emmanuel se figea. Comment pouvait-il savoir qu’il le prenait pour un dealer?

- Tout simplement parce que tes pensées obscures n’ont aucun secret pour moi, répondit directement Crowley relâchant délicatement sa prise.

Le jeune homme se glaça. L'homme lisait ses pensées.

- J’ai le pouvoir de t’aider sur cette ambition là, continua-t-il, répondant alors à un autre de ses désirs bien plus profond. Et celle là aussi, compléta-t-il avec un large sourire.

Emmanuel se rassit doucement, fasciné, dévisageant Crowley qui pointa son long doigt maigre vers son crâne.

- La présidence, siffla-t-il, le pouvoir absolu, la reconnaissance ultime, la main mise sur absolument tout ce que tu veux. Je peux tout te donner.

Touché au coeur, le futur président le considéra avec grande attention.

-Tout?

Crowley se rapprocha à quelques centimètres de son visage.

Rien À PerdreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant