Chapitre I : Désespoir de grogne-cœur

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    Je relis pour la cinquième fois la petite feuille de papier, ne voulant pas y croire.

    C'est arrivé.

    Notre déficit a dépassé nos bénéfices.

    Je porte mes doigts à mes tempes, les massant consciencieusement. C'est un cauchemar. Ça ne peut pas arriver maintenant. Pas alors que j'ai réussi à retrouver des investisseurs, que j'ai tenté de redonner un coup de fouet à mon commerce. Pas alors que j'ai tout fait pour garder la tête hors de l'eau.

    Mais c'est trop tard. Je vais être obligée de licencier beaucoup d'employés, peut-être de chercher des locaux plus petits et moins chers et, surtout, de réduire ma gamme de produits. C'est la seule manière que je vois de limiter les pertes.

    Pour la centième fois de la journée, je grogne. Et pas un petit grognement de chiot pas content. Plutôt celui de l'ours à qui l'on vient de piquer son repas. Si ma secrétaire venait à m'entendre, elle en ferait une crise cardiaque.

  - Madame !! Une directrice d'entreprise ne doit pas s'abaisser à faire de pareils bruits, même dans l'intimité de son bureau !!

    Et voilà. Quand on parle du loup...

    D'un geste vif, je me retourne vers ma confidente et, accessoirement, ma seconde mère. La vieille femme au long corps reptilien se contente de me jeter un regard qui en dit long et de s'avancer jusqu'au meuble de bois.

  - Je sais bien que notre situation n'est pas idéale, mais vous devez vous montrer digne jusqu'aux derniers instants. Même si tout autour de vous brûle, vous devez montrer que cela ne vous touche pas. Un peu comme dans ces blockbusters où tout explose derrière les personnages, vous voyez ?

    Je hausse un sourcil, peu impressionnée par ses paroles, et reprend d'un ton posé :

  - Donc, vous souhaitez que je me comporte en despote sans cœur, que j'agisse devant mes employés comme si leur sort avait autant d'importance que la vie d'un insecte ? Je ne suis pas sûre que cela fera remonter ma côte de popularité.

    Comme si je m'en souciais vraiment !

  - Je ne pense pas que plaire à vos collaborateurs soit si important à vos yeux, souligne Delaïssa en affichant une moue sérieuse. Sinon, vous auriez trouvé une façon un peu plus polie de renvoyer Dimitri.

    Je ne réponds rien, me souvenant de l'arrogance de cet idiot quand il m'avait assuré que seuls les mauvais patrons accusaient à tort les employés de voler de l'argent. Un bon sortilège de vérité l'avait fait perdre tout son aplomb et il avait commencé à paniquer. Malheureusement, il se trouve que je n'ai jamais eu pitié de qui que ce soit. Alors, je l'ai licencié de la meilleure manière qui soit.

    J'ai fait en sorte que tout moyen de paiement - Crist, billets et pièces entre autres - soient repoussés à son approche ou ne soient plus en état de payer. Et, comme je possède une suraffinité avec les envoûtements et les malédictions – entendez par là une condition spéciale où une personne n'est pas particulièrement puissante de naissance dans une spécialité magique, mais développe après ses dix ans une connexion tellement étroite avec cette spécialité qu'aucun sort lancé ne peut échouer et qu'ils sont très difficiles à supprimer... Autant vous dire qu'il n'en est pas débarrassé.

  - Dimitri a mérité ce qui lui est arrivé. Et il est devenu un exemple à ne pas suivre pour tous les autres. Beaucoup sont mécontents, mais je ne peux pas effacer le fait que la sentence est à la justesse de sa faute.

  - Peut-être, mais c'est vous qui avez récupéré le travail de Dimitri, sans oublier celui de Jacob, de Gilles, de Marion, de Zoé, de...

  - Donc je dois garder des salariés incompétents, qui déposent des bouteilles d'urine devant la porte de mon bureau, qui pensent que les locaux sont appropriés pour coucher avec quelqu'un, qui confondent efficacité et paresse, qui...

Charmes, potions et malédictions - Grogne-cœur  ~ TerminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant